[HJ: je suis trop fière de mon jeu de mot dans le titre ]

Retour au centre. Finalement, Mason y passe pas mal de temps. Il s’est un peu pris d’affection pour cet endroit. Il n’y connait pas grand monde mais peut constater que l’ambiance déjà y est agréable, chaude et réconfortante. Il n’a pas vécu dans la rue mais ça ne l’empêche pas de pouvoir l’apprécier à son tour. Cette fois, pas de papier à signer, il est venu faire passer un entretient à l’un des résidents. C’est le premier et c’est un peu intimidant pour lui, il doit l’avouer. Mais n’y paraissant pas, alors que le conseiller d’orientation le laisse dans une salle de réunion vide avec l’homme en question, Mason prend le dessus. Il commence à expliquer plus en détail en quoi consiste son métier et ce qu’il attend du postulant. Puis il le laisse parler, l’interrogeant d’avantage sur ses motivations que sur ses compétences. Au bout d’une petite demi-heure, la conversation se termine dans un sourire et sur une poignée de main. Il aura un essai et les deux constateront si oui ou non le résident à intérêt à continuer dans cette voie.

Mason flâne un peu et en profite pour papoter avec le directeur qu’il croise brièvement, puis il entreprend de descendre les étages pour rentrer à l’atelier. Arrivé à l’étage inférieur, il ne peut s’empêcher de remarquer un jeune homme allongé sur le dos, en train de se battre avec le tenon et la mortaise de la grande table en bois qui trône dans la cuisine. Un sourire léger s’inscrit sur son visage, cette table à son charme, sans doute récupérée. Il s’en approche et ne peut s’empêcher de frôler le bois patiné de la paume de sa main. Puis il s’acroupit, son regard rencontre celui du garçon, inversé et d’un coup d’œil, le menuisier remarque l’instabilité dans les pieds qui doit faire soucis au type.

« Vous devriez peut être essayé de caler avec un nouveau tenon, il a l’air bien usé celui là. » lance-t-il amicalement.

Faire l'homme à tout faire dans un centre de réinsertion où la plupart du mobilier commun est issu de récup, c'est avoir du boulot à n'en plus finir... Luke passait un jour par semaine mais franchement, s'il pouvait se libérer un jour de plus, ça ne serait pas de trop ! Petites bricoles par ci, par là, mais y'en avait à faire ! Le souci, c'est qu'il avait beau s'y connaître en plusieurs domaines et avoir du talent pour le bricolage, cette table commençait vraiment à le faire suer ! Elle se déboîtait tout le temps, mais juste quand elle n'était plus bancale... Bricolage ok, mais quand il n'y avait ni vis, ni joint, ni colle, il ne savait pas trop comment s'y prendre. On a beau en savoir des tonnes, il y a toujours des trucs pour nous prendre la tête !

C'est dans cet état d'esprit un peu remonté qu'était Luke quand Mason se présenta pour jeter un coup d'oeil. Le jeune artisan ne l'avait pas entendu arriver mais il l'avait remarqué avant qu'il ne s'accroupisse à son côté. Il ne lui avait pas réellement accordé d'importance, un peu trop énervé pour faire son aimable mais lorsque l'autre avait commencé à s'occuper de son travail, Luke était d'abord passé par l'agacement avant de se dire qu'un coup de main ne serait pas de refus, si son observateur en était capable... Bin ouais quoi, tu te débats avec un truc depuis un quart d'heure et là y'a un mec qui arrive et fait celui qui connait tout pour te dire quelque chose que tu sais déjà, chiant quoi ! Mais le spécialiste plombier se rendit compte que son interlocuteur s'y connaissait un minimum, juste au vocabulaire employé.

Se redressant pour s'écarter un peu et le laisser regarder, Luke soupira :

Ouais, je sais bien, mais j'ai pas ce qu'il faut pour le remplacer et je saurais pas par où commencer si je voulais bidouiller un truc pour arrêter que ça bouge... Vous vous y connaissez ? demanda-t-il en reprenant le vouvoiement de l'homme qui lui avait adressé la parole.

Mason s’accroupit, comprenant bien que l’homme est en difficulté avec sa table. Cette grande table en bois semble en effet être issue de récupération et comme toujours dans ces cas là, il y a de petits défauts dus à l’usure du temps qu’on a du mal à réparer. Le mode de construction utilisé pour sa fabrication, sans quincaillerie ni colle, Mason le connait bien, c’est celui qu’il utilise la plupart du temps dans son travail. Il cède parfois à la facilité avec quelques clous et vis mais il ne trouve rien de plus bois qu’un meuble 100% bois qui se suffit à lui-même. D’ailleurs cette table doit être vraiment ancienne car en général, l’usure ne survient que très tard, même si le bois vieillit, se rétracte, il faut du temps avant que le meuble ne finisse par devenir bancal.

Souriant, il n’hésite pas à y aller de son petit conseil espérant ne pas vexer le bricoleur en question. Lui-même n’apprécie pas vraiment qu’on vienne lui dire quoi faire dans son métier et à un voir le matériel éparpillé au sol, c’est sans doute le métier de ce gars.

L’homme se redresse et affirme qu’il a bien connaissance du problème, Mason s’en serait douté et quelque part, ce n’est pas mal, problème identifié, solution à moitié trouvée. Lui se baisse davantage et pose sa main au croisement des deux tasseaux de bois. Il y va à l’aveugle, préférant comprendre le montage au touché.

« C’est vrai que c’est un montage complexe, un truc qui date au moins du siècle dernier, il faudrait peut être même tourner une nouvelle pièce de jonction adaptée. »

Reposant son attention sur l’ouvrier, Mason sourit lorsqu’il lui demande s’il s’y connait. Son métier, sa passion, sans vouloir se vanter, ce type n’aurait pas pu mieux tomber.

« Oui, je suis menuisier. Mason Lamb. » se présente-t-il tendant naturellement sa main vers son interlocuteur, toujours juché sur ses deux jambes pliées.

Aaah, un homme du métier ! Ceci expliquait cela et il tombait à pic ! Mais justement, qu'est ce qu'un menuisier faisait là ? Il n'y avait pas trente six solutions : soit il avait de la famille au centre, soit il aidait lui-même bénévole. Luke ne chercha pas plus loin, Mason Lamb était plus qualifié que lui alors s'il pouvait lui refiler le boulot, il pourrait peut être le laisser faire et regarder un peu tout ça, histoire d'en apprendre un peu plus dans ce domaine.

Lui serrant la main avec un sourire franc, le jeune homme se présenta à son tour :

Luke Connely. Plombier, électricien et homme à tout faire du centre à mes heures perdues, ravi de rencontrer un confrère artisan ... même si je suis moi-même plus réparateur qu'autre chose. Après une courte pause, il reprit. Est ce que tu - ouais, le vouvoiement était assez rare au centre pour lui - aurais le temps de m'aider là dessus ? J'y connais franchement pas grand chose et le peu que je ferais est de bricoler un truc qui ne correspondrait pas vraiment à ce qu'on appelle un travail bien fait.

Luke avait le contact facile, il suffisait que la personne en face soit assez sympa ou un minimum sociable pour que le contact passe bien. Mason avait l'air d'entrer dans cette catégorie et le jeune plombier serait plutôt content de pouvoir parler boulot avec quelqu'un qui connaissait le système. L'entraide entre artisans n'était pas rare, mais il fallait bien pour cela que les différents acteurs se rencontrent. Là dessus, le centre était assez pratique, il lui avait permis de connaître des gens sympas, mais aussi de potentiels clients ou même des personnes qui pourraient l'aider lui. C'est clair qu'il rencontrait beaucoup plus de monde depuis qu'il venait ici, rester devant sa télé ne lui permettait pas autant de possibilités...

Ce n’est pas dans l’intention d’être pédant que Mason donne ces conseils au jeune homme. Il veut juste apporter sn aide comme il le peut, avec bonne humeur et sourire. Il s’approche donc sans problème du jeune homme et après l’échange des premières impressions, il se présente sans tarder serrant chaleureusement la main de Luke.

Il s’agit donc de l’homme à tout faire du centre. Plombier, électricien, en effet, plutôt logique que la question d’une grande table de ferme entièrement en bois lui pose quelques soucis. L’aisance qu’il a à lui parler met Mason bien à l’aise très rapidement et ne s’étonne pas de la familiarité qui s’installe. Dans leur corps de métier, il n’y a pas de place pour les chichis. D’un sourire léger, Mason se permet de nourrir la conversation naturellement :

« Ah oui, on m’avait bien dit que le centre employait un artisan, tu es du quartier ? »

Il se penche alors un peu plus pour constater les dégâts et poser son diagnostique de spécialiste sans prétention aucune, au contraire.

« Ouais, avec plaisir, c’est déjà un beau morceau à réparer même pour moi qui suis du métier. »

Mason apprécie la facilité qu’a Luke à parler, il est heureux de rencontrer un compère artisan et peut encore une fois se féliciter d’avoir poussé les portes de ce lieu.

Laissant Mason inspecter le meuble à la façon d'un professionnel, Luke se releva un peu et s'écarta, prenant le temps de papoter :

Ouais, j'ai emménagé dans le coin quand je me suis mis à mon compte. Ça fait quoi, un an et un ou deux mois ? Mais je suis le réparateur officiel du centre à titre bénévole, tout ce qu'ils paient, c'est le matériel dont j'ai besoin et encore, si j'en ai pas en rab. Mais je m'en plains pas, je trouve ça sympa de me rendre utile. Et toi du coup, qu'est ce que tu fais au centre ?

C'était un peu ça la bête noire de sa vie... savoir s'occuper en dehors du boulot. Encore, ça lui arrivait pas mal de sortir avec des potes le soir, ou de se faire une soirée films chez l'un d'eux, mais seulement le soir... Ses jours de congé, il se faisait horriblement chier, alors passer au centre l'occupait bien. Il avait bien pensé aussi à se mettre aux jeux vidéos mais c'était bien moins satisfaisant et ça ne permettait pas de faire autant de rencontres.

Observant le diagnostic du menuisier d'un oeil très intéressé, il lui demanda :

Ça te dérange pas que je t'observe bosser en échange de mon matos ? Histoire que je sache un peu plus comment me débrouiller avec ça... à moins que j'ai la chance de tomber sur toi à chaque couille de ce genre...?! dit-il avec un grand sourire, les bras croisés sur le torse, signifiant qu'il l’appellerait bien dès qu'il y avait un truc en bois à remettre sur pied.

Ok, il allait peut être un peu vite en besogne, ce mec, il ne le connaissait que depuis deux minutes et celui-ci n'avait peut être pas le temps ni même l'envie de venir donner un coup de main ici dès qu'il y avait un souci du genre... Luke devait franchement apprendre à tenir sa langue de temps à autre...

Pendant que Mason inspecte le meuble, il écoute le récit de Luke avec intérêt. Apprenant que Luke travaille gratuitement pour le centre, c’est bien le signe de son altruisme. Un instant, Mason a l’impression de se revoir quelques années plus tôt, au moment où il a décidé de se mettre à son propre compte. Il sourit tout en étudiant le souci.

« Ah ouais ? C’est bien ça, un peu de sang neuf dans le métier, ça fait plaisir de voir des jeunes qui se lancent à leur compte. »

Il se relève légèrement et reprend sa réponse.

« Je me suis proposé comme formateur, j’aurais bien besoin d’un pe d’aide à l’atelier et tant qu’à faire, je préfère former quelqu’un à ma propre méthode. Tu vois ? Et puis c’est pareil, si je peux aider, c’est que du plus. »

C’est un point commun que Mason a repéré chez pas mal de ses compères artisans, souvent passionnés par leur job, ils ont du mal à décrocher. Ce n’est pas universel, mais en tout cas il peut le comprendre, car c’est son cas.

« Non, pas de soucis, j’ai peut être pas réussir à résoudre le problème maintenant, je pense pouvoir fabriquer une nouvelle pièce pour remplacer le tenon en deux temps trois mouvements, mais en attendant je vais pouvoir faire un truc temporaire. Je viendrais placer la pièce un jour où tu seras là si tu veux. »

Il regarde les outils et s’empare d’un tournevis.

« Tu pourrais me dégoter un bout de carton par hasard ? »

Il a l’intention de bloquer le tenon abimé avec. Les quelques mots de Luke le font rire allégrement, il n’est pas du tout choqué par ses propos au contraire.

« Ah ah, je voudrais bien être une sorte de super héros de la menuiserie, mais j’ai pas de costume. » lance-t-il en riant. « Enfin, si t’as besoin de conseils faut pas hésiter, j’ai mon atelier pas loin dans le coin. »

Du sang neuf ? Il était si veux que ça pour dire ça comme ça ? Il devait bien avoir la trentaine ouais, mais Luke ne lui donnait pas plus de trente cinq ans. Bon après tout, s'il avait commencé jeune à son compte, ça faisait peut être bien dix ans qu'il était dans le milieu, c'était déjà pas mal après réflexion. Lui-même n'avait pas été aussi prompt que certains à ouvrir sa boîte, attendant d'avoir assez de liens avec de la clientèle potentielle. Vingt cinq ans, il trouvait ça correct pour se lancer.

Mais revenant bien vite de ses pensées, il écouta Mason répondre à sa question. Ainsi il n'était pas bénévole ici, tout du moins, pas de la même façon que lui. Mais quand on y repensait, le menuisier était surement plus utile que lui-même pour les résidents : Luke aidait à garder les pensionnaires dans un certain confort le temps de se remettre d'aplomb et de repartir dans la vie active, Mason lui, leur proposait du travail ... tout du moins à l'un d'eux. Il ne travaillait certes pas sur le nombre, mais il permettait à un moins une personne de repartir d'un bon pied.

Réfléchissant, Luke se dit qu'il pouvait bien dégoter un morceau dans le côté "foutoir" de sa mallette à outils. Cherchant donc le carton, il répondit plus sérieusement :

OK OK, bon à savoir. Puis, fronçant les sourcils, il expliqua le cours de ses pensées. C'est vrai que c'est peut être intéressant de former un apprenti, faudrait que j'y réfléchisse ... Bon, tiens. dit-il en lui tendant donc un bout de carton de dix centimètres sur vingt qui lui servait de protection.

Mason a roulé sa bosse. Il n’a pas encore quarante ans, mais il y est presque non ? Et il travaille depuis qu’il a 14 ans. Pas à plein temps bien sûr, mais dés qu’il a pu, il a commencé à traficoter le bois comme il le pouvait. Les cours de travaux pratiques à l’école lui ont mis la puce à l’oreille puis il a commencé l’apprentissage, tout en continuant les études comme le voulait ses parents. Alors il se permet de considérer ce petit jeune comme du sang neuf, parce qu’il a déjà ses habitudes de vieux con x). Cela étant dit, Mason apprécie bien cette petite conversation avec Luke.

Il s’apprête à donner son aide à l’homme à tout faire. Mason étudie le problème et cherche une solution temporaire. Il faudra qu’il fabrique une pièce sur mesure à l’atelier, mais ce ne sera pour lui qu’un jeu d’enfant. Il a l’habitude de ce genre de réparations.

« Ouais, après je verrais ce que ça donne. C’est quand même le genre de boulot qui plait pas à tout le monde. »

Il le regarde chercher ce qu’il lui a demandé et finalement, il prend le bout de carton.

« Merci. »

Mason plie le carton et le roule avant de le glisser à la place de la pièce manquante. Ce n’est pas très esthétique pour le moment, mais c’est en attendant.

« Et voilà, je fabriquerais un nouveau tenon en pin pour remplacer le bout de carton. »