Tout est allé si vite depuis que le Père Fitzpatrick a parlé de l’existence du centre à Micah. Elle n’y croyait toujours pas. Même allongée dans ce lit, le premier depuis si longtemps. Cet hiver, Micah ne le passerait pas dehors est c’était déjà un grand soulagement. Elle qui a toujours tout fait pour continuer d’avancer dans sa vie et ne jamais être dépendante de qui que ce soit. Là elle était dépendante du centre, mais elle espère que ce coup de pouce l’aiderait rapidement à sortir la tête de l’eau.

Cette nuit, Micah a mal dormi. C’est étrange comme on s’habitue vite au manque de confort. Elle n’imaginait pas que le moelleux d’un matelas puisse être si inconfortable après la dureté et l’humidité des coins sombres qu’elle trouvait pour s’abriter. Une chose qu’elle ne regrette pas, c’est la froideur du brouillard matinal qui la réveillait dans les rues de San Francisco. Elle se lève, les yeux encore un peu fermé et le cerveau brouillé, elle n’est pas encore sûr de la réalité et la peur qui l’habitait ses dernières années a du mal à disparaître. Elle finit par mettre un pied hors de lit.

Ce matin, elle a rendez-vous pour la première fois avec une thérapeute du centre. C’est nouveau pour elle, d’être encadrée comme ça, et surtout qu’on lui tende la main. Mais elle est pleine d’espoir et elle aime voir ce sentiment réapparaître.

Une fois prête et bien à l’heure, Micah monte vers le dernier étage où elle repère assez rapidement le bureau des thérapeutes. Elle ignore vraiment à quelle sauce elle va être mangée, d’autant qu’elle n’aime pas vraiment parler de son passé, mais il fat bien passer par là non ? Elle frappe donc à la porte, un peu hésitante.

A l'approche des fêtes de fin d'année, Katheryn est toujours un peu déprimée. L'hiver, le froid, la nuit qui tombe trop tôt, le soleil qui se lève plus tard...Et puis, il y a aussi ce truc de fêtes de fin d'année en famille. Depuis ses douze ans elle n'a rien vécu de tel. Noel, c'était un repas en tête à tête avec sa mère ou en bout de table à regarder son père et sa nouvelle compagne se manger des yeux. Elle ne garde pas de bons souvenirs de ces fêtes de famille car sa famille ne ressemble plus à rien. Alors à l'approche de la dernière quinzaine de décembre, elle est toujours un peu préoccupée, nerveuse, triste, lointaine. Elle aimerait parfois se mettre en veille du quinze décembre au premier janvier. Heureusement, il lui reste son boulot pour lui vider la tête. Aider ceux qui ont clairement besoin d'elle, ça lui fait du bien. Ils ont besoin de chaleur humaine, de compréhension. Elle est là pour leur apporter.

Après une nuit particulièrement désagréable à cause de cauchemars absolument absurdes, elle se lève difficilement et passe directement par la salle de bain pour y prendre une douche bien chaude. Le corps drapé dans une serviette éponge, elle enroule ses cheveux dans une autre, plus petite, et traverse son appartement pour se mettre une tasse d'eau à chauffer avant d'y ajouter un sachet de thé. Elle plonge la main dans un paquet de gâteaux et l'attrape avec ses dents avant de partir jusqu'à sa chambre. Dévorant le gâteau qui lui sert de petit déjeuner, elle cherche comment s'habiller. Elle opte finalement pour une robe simple couleur taupe qu'elle associe parfaitement avec des bottes de la même couleur en suédine. Une veste en cuir marron sur les épaules, elle quitte l'appartement après une touche maquillage des plus simples. Elle prend le tram un peu plus loin et quelques stations plus loin, elle passe la porte du centre, saluant les quelques personnes qu'elle y croise, dans un sourire avant de prendre les escaliers pour arriver au troisième étage, là où se trouve son bureau.

Elle ouvre le store, allume son ordinateur, retire sa veste qu'elle pose sur le porte-manteau. Les seules rares tâches répétitives de son boulot. Elle se dirige jusqu'à la salle de pause chercher un café puis revient dans son fief pour le boire tranquillement en regardant ses e-mails. Elle baille un instant puis secoue la tête comme pour se réveiller plus vite alors qu'on frappe à sa porte.

« Entrez ! »

Micah appréhende. On lui a expliqué le programme du centre, on lui a bien dit qu’elle devrait se livrer un peu au personnel, c’était le but non ? Mais elle n’a pas vraiment envie de lire le jugement porté sur sa famille dans le regard d’une nouvelle personne. Elle sait qu’elle est étrange, et elle sait que la manière de vivre de sa famille n’est pas légale et encore moins morale, mais même s’ils la détestent, même si elle ne les a pas vu depuis des années et même si elle n’approuve pas leurs comportements, ils restent sa famille. La communauté dans laquelle elle a grandit. Micah se souvient très bien des remarques du juge pour enfant qui avait adjugée son émancipation et placé ses frères et sœurs, c’était pour leur bien, mais elle ne pouvait s’empêcher de culpabiliser encore aujourd’hui pour le mal qu’elle leur avait fait.

C’est fou tout ce qui peut se passer dans son esprit en si peu de temps, mais elle ne peuit pas tergiverser plus longtemps, elle frappe et déjà une voix féminine feutrée par l’isolation de la porte l’autorise à entrer. Micah sort un léger sourire et entre, le cœur battant un peu plus fort que d’ordinaire.

« Bonjour. » dit-elle à mi-voix sans pour autant avoir l’air timide. Elle fait quelques pas dans la pièce qu’elle découvre pour la première fois.

« J’espère ne pas être en retard, je suis Michaela Roland. » ajoute-t-elle immédiatement avant de se reprendre de peur que son prénom soit trop rapidement retenu.

« Je préfère quand m’appelle Micah. Je suis là pour le rendez-vous. »

Sa phrase semblait interrogative, Micah ne pouvait pas s’être trompée puisque la porte indique bien le bon bureau et elle est bien à l’heure, mais peu sûre d’elle sur le moment, elle s’imagine déjà avoir fait une première boulette.

Chaque première séance avec un nouveau pensionnaire est différente. Katheryn fait tout pour mettre ses "patients" à l'aise le plus vite possible mais elle a conscience de combien ça peut être difficile pour eux de faire confiance à une inconnue. Pour la plupart, ils ont vécu dans la rue assez longtemps pour se méfier de tout le monde comme on se méfie de la peste. Il faut du temps pour gagner leur confiance. Parfois ça va plus vite qu'avec d'autre, chaque personne étant différente, le rythme de travail ne peut pas toujours être le même. Ça fait partie du métier, aussi.

Lorsque la porte s'ouvre, Kathery, se lève de son bureau, par politesse, et s'avance pour venir saluer sa nouvelle patiente en lui tendant la main, dans un sourire qui se veut chaleureux. Elle jette un rapide coup d'oeil à l'horloge fixée au mur et secoue la tête. Elle n'est pas en retard. Même si elle l'était, Katheryn est plutôt du genre laxiste. Si elle a horreur d'être en retard, elle n'en veut pas à ses patient d'arriver quelques minutes après l'heure convenue, tant que ça reste raisonnable ou justifié, bien sûr. Faut pas abusé. Avant qu'elle n'ait le temps de répondre, sa patiente enchaîne en précisant qu'elle préfère qu'on l'appelle par son surnom que par son prénom. Kathy acquiesce et, lorsque vient son tour, elle prend la parole.

« Bonjour Micah. Je suis Katheryn, votre thérapeute. Si vous le désirez, nous pouvons nous tutoyer, qu'en dites vous ? »

Propose Katheryn en lui indiquant le fauteuil dans lequel elle l'invite à s'asseoir. Bloc notes en main, elle attrape un stylo sur le bord de son bureau et s'installe dans son fauteuil à elle.

« Prenez le temps de vous mettre à l'aise. Est-ce que vous voulez boire quelque chose ? »

Elle est un peu nerveuse, mais peut-on lui en vouloir ? Micah ne sait pas bien ce qui va se passer, ce qu’on va lui demander. On a eu beau lui expliquer et la rassurer depuis son arrivée, ce n’est pas évident d’imaginer réellement comment se déroulera la séance. En entrant, elle se présente un peu maladroitement. Elle sait que sur les papiers, elle est Michaela Roland, mais elle n’aime pas vraiment qu’on l’appelle comme le faisait sa famille. Micah est un nom qui lui convient, il lui a été donné par une vieille femme rencontrée dans un motel à Reno, une marginale amusante qui l’avait embauchée pour nettoyer sa voiture.

La thérapeute se lève et lui tend la main. Dans un premier temps, Micah la regarde comme si elle contenait de la drogue dont elle ne voudrait pas, puis la microseconde suivante, elle répond à son salut en glissant la sienne.

« Oui, très bien. » dit-elle alors que la jeune femme lui propose qu’elles se tutoient. En fait, ça lui est égal. La jeune femme a l’air plus jeune qu’elle et bizarrement, c’est plus intimidant pour Micah. Elle s’assoit finalement dans le fauteuil indiqué et sourit alors que Katheryn lui propose de se mettre à l’aise. C’est pas vraiment compliqué ça.

« Euh, je veux bien un verre d’eau s’il vous … s’il te plait. » demanda-t-elle avant d’afficher un timide sourire. Puis une tonne d’interrogations lui viennent à l’esprit. Mais elle les garde pour elle pur l’instant attendant de voir ce qu’on va lui demander.

Katheryn remarque bien vite que Micah a l'air nerveuse, comme la plupart des patient lors de la première séances. C'est difficile d'appréhender une première séance de thérapie quand on a aucune idée du déroulement de celle-ci ou des méthodes du thérapeute. Katheryn fait de son mieux pour être la plus agréable et la plus attentive possible. Elle ne veut pas qu'ils se mettent la pression juste qu'ils s'installent, prennent le temps d'accorder leur confiance et accepte de raconter les éléments importants de leur vie. Elle essaye de les faire parler, du mieux qu'elle peut, usant de méthodes diverses et variées en fonction du profil de son patient. Mais jusqu'ici, elle est plutôt fière de son travail au sein du centre. Il n'y a que quelques rares patients qui continuent de lui donner encore un peu de fil à retordre mais elle ne perd pas espoir.

Comme à son habitude, Kathy arbore un air encourageant et détendu. Elle propose tout de suite à Micah de se tutoyer si elle le désire. La plupart hésitent un moment et ne tutoient qu'à partir de quelques séances, mais elle vient d'accepter, étirant le sourire de la thérapeute. Elle lui propose à boire et la jeune femme accepte également. Se redressant, elle serre son carnet de notes contre elle et place son stylo derrière son oreille comme on y place une cigarette en attendant de pouvoir la fumer.

« Je vais te chercher ça, je reviens. »

Explique-t-elle avant de s’éclipser du bureau, laissant la porte ouverte derrière elle. La salle de pause se trouve à quelques mètres de là. Elle prend un gobelet vide et actionne la fontaine à eau pour le remplir avant de revenir dans son bureau et fermer la porte derrière. Elle tend gentiment le verre d'eau à sa patiente puis prend place dans son fauteuil à elle, replaçant ses longs cheveux bruns derrière ses épaules.

« Alors, comment ça va aujourd'hui ? Tu t'habitues un peu à la vie au centre ? »

Bon, elle y est. La première séance, passé le stress des salutations, Micah accepte le tutoiement sans problème, au contraire, elle se sent plus à l’aise ainsi, d’égal à égal. Quelque part, elle est rassurée d’avoir à faire à une femme, pas qu’elle déteste les hommes, mais ils sont pour elle une sorte d’espèce inconnue. Elle n’a pourtant pas manqué de repères masculins dans son enfance seulement lorsqu’elle s’est retrouvée seule, elle s’est rapidement rendue compte qu’ils n’étaient vraiment pas semblables aux femmes (quelle découverte !).

Installée dans le fauteuil indiqué par sa thérapeute, Micah se laisse aller à un sourire un peu moins discret tandis qu’elle demande un verre d’eau. Katheryn se lève alors pour le chercher, si elle avait su, elle n’aurait rien demandé, Micah ne veut embêter personne. Enfin, la jeune femme ne disparaît pas bien longtemps et revient donnant le gobelet à sa patiente. Micah ne se jette pas sur le verre, elle se contente pour l’instant de le faire tourner entre ses mains, c’est en prévision en fait, si elle doit beaucoup parler, ça lui donnera assez de contenance pour réfléchir posément à ce qu’elle voudra dire.

Katheryn commence à lui poser deux simples questions. Rien de bien sorcier, ça, Micah peut y répondre. Elle pose un regard souriant sur la thérapeute et se lance.

« Très bien, ça va, ça fait du bien d’être au chaud. » lance-t-elle dans un ricanement un peu maladroit.

Elle n’a pas encore rencontré tous le monde mais pour le moment, Micah s’y retrouve. Plutôt sociable de nature, elle s’était un peu renfermée à force de vivre au cœur des dangers mais depuis son arrivée, elle sent son naturel revenir au galop, d’autant qu’elle sait que les autres résidents sont là pour la même chose qu’elle.

« Je me sens en sécurité. » dit-elle alors pour exprimer exactement ses sentiments à l’instant présent.

Au fil des minutes qui passent, Katheryn peut sentir la nervosité de Micah se dissiper. Elle la sent toujours, mais beaucoup moins. Visiblement, le tutoiement fait son effet. Elle trouve ça plus sympas de pouvoir tourner la séance comme une simple discussion plutôt que comme un interrogatoire. En proposant ce type de conversation, elle n'a plus le même rôle. Elle a conscience que le mot "thérapeute" soit un peu effrayant et créé malgré lui une barrière avec le patient. Elle fait de son mieux pour ne pas trop intimider ses patients du fait de son statut, préférant leur montrer qu'elle est au même niveau qu'eux. Et puis, ça a un côté pratique. Elle récolte beaucoup plus d'informations sous cette forme de discussion. C'est plus productif.

S'absentant l'espace d'une minute pour aller lui chercher un verre d'eau, la séance peut vraiment commencer maintenant qu'elles sont toutes les deux bien installées l'une en face de l'autre. Katheryn marque la date, l'heure et le nom de sa patiente sur la page blanche. C'est sa manière de s'y retrouver quand elle ne classe pas tout de suite ses notes dans ses dossiers. Kathy arbore un sourire compatissant. L'hiver arrive à grand pas et, malheureusement, le centre n'est pas assez grand pour abriter assez de monde. Déjà parce que ce n'est pas si grand, mais aussi parce que c'est très sélectif. Il ne s'agit pas d'un refuge pour passer l'hiver. Il n'empêche que la thérapeute à mal au coeur pour ces personnes qui passeront l'hiver dans le froid...

« Très bien ! C'est important de se sentir bien. »

Explique Kathy en croisant les jambes. Elle ignore encore tout du passé de Micah, mais depuis qu'elle est ici, Kathy en a vu assez pour savoir qu'un pensionnaire qui ne se sent pas bien au centre pendant les premiers mois mais plus de temps à s'intégrer et à évoluer. Certains considèrent le centre un peu comme une prison. Ils sont enfermés, doivent respecter des règles, apprendre à vivre avec des inconnus...C'est son rôle aussi de changer ce genre de points de vue. Mais en ce qui concerne Micah, tout à l'air de bien commencer pour elle.

« Est-ce que tu veux bien me parler un peu de toi ? Tu n'es pas obligée de me raconter les détails de ta vie tout de suite, tu le feras en temps voulu, quand tu seras prête si jamais tu ne t'en sens pas encore capable. »

Elle ne veut pas l'encourager à garder des choses pour elle, non, elle veut juste qu'elle se sente assez en confiance pour se confier. Kathy veut que sa patiente sache qu'elle n'est pas obligée de lui raconter tout dès le premier rendez-vous. S'il y a des choses pour lesquelles elle est un peu plus réticente à l'idée d'en parler, alors elle les racontera plus tard. Ce premier jour de thérapie est loin d'être le dernier.

Micah n’a pas souvent eu à faire à des thérapeutes, ni même à des médecins en fait, elle n’en avait pas les moyens et se contentait jusque là d’attendre que ça passe quand elle avait mal quelque part. C’est peut être idiot, mais au moins, elle a développé une grande résistance à la douleur. Ce doit être la même chose pour sa santé morale. Enfin, Micah n’est pas complètement réfractaire à une discussion, au contraire, mais elle sait qu’il y a certaines choses dont elle n’osera pas parler. Heureusement, pour le moment, ce n’est pas ce qu’on lui demande.

A la première question, Micah insiste sur le fait qu’elle est au chaud. Dans l’immédiat, c’est ce qui la soulage le plus, mais elle sait aussi qu’elle a fait un pas dans une nouvelle vie. Peut être réussira-t-elle enfin à se libérer de son enfance, à se libérer de ses galères. Elle n’a pas eu à mentir lors de son entretient avec le directeur. Elle a sincèrement besoin d’un coup de pouce parce que la motivation pour s’en sortir, elle l’a toujours eue. Elle bénit d’ailleurs chaque jour le seigneur de lui avoir permit de rencontrer ce prêtre qui l’a orienté vers le centre. Sans lui, elle n’en aurait sans doute jamais connu l’existence et serait obligée de passer un hiver de plus dans la rue.

Micah dit à sa thérapeute qu’elle se sent bien au centre et surtout en sécurité. C’est important pour elle. Elle fait encore tourner son verre plein entre ses mains, ses yeux se perdent dans le liquide transparent tandis qu’elle réfléchit à ce qu’elle peut bien répondre à la nouvelle question.

Parler d’elle. En soi, ça ne la gène pas, mais ce qu’elle pourrait bien dire risque de ne pas vraiment intéresser Katheryn. Elle relève le visage et laisse échapper un petit soupir.

« Je … Je sais pas trop quoi dire. »

Le regard porté sur sa thérapeute, Micah sourit un peu bête et laisse le silence l’envahir.

La courte expérience de vie dans la rue de Katheryn lui a ouvert les yeux sur pas mal de choses. Sans un sous en poche et avec seulement un change dans un petit sac, elle a apprit ce que voulait dire survivre. Pour elle, ça n'a duré qu'un mois avant qu'une épicière appelle la police pour l'avoir reconnue. Son père avait quand même finit par s'inquiéter, sans nouvelles d'elle depuis plus d'une semaine. Au début, il a pensé qu'elle s'était exilée chez une copine et après avoir fait quelques recherches, il s'est rendu compte qu'il s'agissait - une nouvelle fois - d'une fugue. Elle n'en était pas à sa première, mais ce fut tout de même la dernière. Elle a rencontré du monde pendant sa cavale. Des personnes qui vivaient dans la rue depuis des années déjà, qui n'avaient rien et qui lui ont quand même refilé quelques tuyaux. Elle respecte énormément les sans-abris et fait chaque année des dons, de nourriture ou de vieux vêtements qu'elle ne met jamais, parce qu'elle sait qu'un petit rien peut faire des miracles, surtout en plein hiver. Elle ne peut qu’acquiescer quand Micah remarque juste qu'ici, il fait chaud, contrairement à dehors.

En plus de la chaleur qu'elle peut trouver au centre, elle peut bénéficier de chaleur humaine, de présence, de générosité, d'un lit confortable où dormir, d'une salle de bain, de repas chaud, et surtout, de sécurité. Il est rare que deux pensionnaires se tapent dessus. Ça arrive, bien sûr. Et lorsque ça arrive, ils ont le droit à un léger recadrage, ça fait partie des règles. Depuis que Katheryn travaille ici, c'est arrivé une fois. Deux peut-être, grand maximum.

Remarquant que sa patiente parle plutôt facilement, elle tente d'en savoir un peu plus. Elle craint toujours, au moment de cette question, de se heurter à un mur. C'est généralement LA question qui renferme les patients sur eux, au début. Mais elle est obligée de la poser à un moment. Pour les aider, elle doit savoir. Micah ne semble pas complètement réticente à l'idée de parler, peut-être juste un peu "perdue", ne sachant pas trop par quoi commencer, probablement.

« Et bien...Tu peux commencer par me dire d'où tu viens ? Est-ce que tu as toujours vécu à San Francisco ? »

A force de vivre dehors, on finit par s’habituer à tout. Au manque d’hygiène, au manque de nourriture, au froid, au chaud, au regard des autres et à son reflet dans les vitrines. Au bout d’un mois, on arrête d’espérer trouver un foyer et on se met en quête du strict minimum. Un coin de rue, un banc du BART, un squatte isolé, un rien suffit pour quelques minutes de sommeil. On est sans cesse sur la défensive, on protège le peu que l’on a et sa dignité aussi. En tout cas c’est ce qu’avait toujours essayé de sauvegarder Micah. Le cercle était dur à brisé et maintenant que c’était fait, elle était soulagée, mais ça ne voulait pas dire qu’il ne restait pas une tonne d’efforts à faire.

Parler d’elle, exorciser ses peurs, ses doutes, son passé, tout ce qui peut l’empêcher d’avancer. C’est bien plus compliqué qu’elle ne l’aurait cru. Micah n’imaginait pas à quel point elle avait besoin de l’aide du centre Adam Hawkes avant d’y entrer.

Le plus réconfortant, c’est qu’elle n’est plus obligée de s’épuiser à être sans cesse sur le qui vive pour se protéger. Elle qui a toujours été faite pour vivre en groupe, elle peut à nouveau imaginer faire confiance aux autres.

Micah ne sait pas vraiment quoi dire. Ce n’est pas très étonnant, elle n’est pas coutumière de ce genre de séance de thérapie et ignore ce que souhaite connaitre Katheryn. Et tant qu’à faire, autant ne pas lui faire perdre son temps.

Lorsque la jeune femme lui propose de commencer par dire d’ù elle vient, Micah tique. Son verre d’eau va lui être d’un grand secours et elle s’empresse d’en écouler une bonne gorgée. Cela lui permet de réfléchir si oui ou non elle est prête à évoquer son passé. Bon, pour le moment elle peut bien répondre simplement à la question sans se prendre la tête.

Micah sourit un peu gênée et évite étrangement la question, se laissant encore un peu de temps pour penser.

« Je suppose que tu dois avoir beaucoup de personnes réticentes à répondre à ce genre de questions. »

Elle ne joue pas à la plus maligne, elle a juste besoin de se rassurer, qu’elle n’est pas la seule à regretter de belles erreurs mais si pour certains, les siennes n’en sont pas vraiment.
Finalement, par respect pour le travail de Katheryn, Micah se sent obligée de lui répondre, au moins vaguement.

« Je suis arrivée à San Francisco j’avais quoi, 23, 24 ans, c’était tout nouveau. »

Elle se marque d’un nouveau sourire, nostalgie du temps où ses rêves lui suffisaient à vivre. Micah en avait appris des choses sur sa longue route pour fuir son passé, et pourtant c’est ce qui la pousse encore aujourd’hui à vouloir garder espoir, l’envie d’en savoir plus, d’avoir une vie normale. C’est peut être ridicule quand d’autres rêvent de devenir célèbre, elle ne pense qu’à sa culture et à son indépendance.

« Je suis née dans l’Utah. » dit-elle alors semant les indices au compte goutte.

Katheryn est surprise par la 'facilité' qu'à Micah pour parler d'elle. C'est plutôt rare, ici. Les pensionnaires sont plutôt du genre réticents, méfiants, à l'idée de devoir donner la moindre information sur eux. Depuis qu'elle travaille ici, la thérapeute s'est même habituée à ces comportements. Tellement que de voir Micah se prêter à l'exercice la surprend. Dans le bon sens, bien sûr. Elle le note, même, sur sa feuille. C'est important. C'est une preuve indiscutable de sa motivation et de sa présence ici. Katheryn lui offre un sourire, tout en l'écoutant prendre la parole. Elle a raison. Des fois, une simple question, même la plus banale, est signe d'intrusion. Certains pensionnaires se referment tout de suite sur eux, et c'est la que la difficulté opère. Pour les faire s'ouvrir de nouveau, c'est pas du gâteau...

« C'est vrai ! Surtout lors des premières séances...»

Sur le coup, elle se dit que Micah risque de ne pas lui répondre concernant sa ville d'origine. Kathy ne lui en voudra pas si c'est le cas. Mais en réalité, c'est tout le contraire. La pensionnaire lui avoue n'être arrivée à San Francisco il y a seulement quelques années. Cinq ou six ans, tout au plus. La jolie brune prend quelques notes sur sa feuille avant de relever les yeux sur sa patiente qui continue de donner quelques informations. Enfin, une, en fait.

« Et, pourquoi es-tu venue à San Francisco ? Quelque chose, ou quelqu'un, t'as attirée jusqu'ici ? »

Katheryn a tellement de questions à lui poser. Elle y va doucement, ne voulant pas lui faire peur. Pour le moment, elles sont sur une bonnes voie. Micah se prête plutôt 'facilement' à l'exercice, même si une certaine retenue se fait ressentir, mais elle répond. Il reste beaucoup de travail devant elles.

Pas vraiment du genre taciturne, Micah peut parfois faire preuve d’un peu de timidité face à la nouveauté, mais en général, elle est quelqu’un pour qui bavarder n’est pas un problème. Cela dit, elle parle très rarement de son passé en Utah. Sans mentir, si elle a à faire à quelqu’un de vraiment curieux, Micah en restera à sa ville d’origine et à sa vie passée à San Francisco. Elle préfère éviter de raconter ses origines mormones en général, elle a un rapport très ambigu avec sa communauté. Micah se culpabilise encore d’avoir envoyé son père en prison quelques années, elle regrette de ne plus voir ses mères et ses frères et sœurs ainsi que tous ses amis d’enfance. Parfois, elle se dit qu’elle appartient à ce monde et que c’est pour ça qu’elle galère tant à se faire une place dans ce monde là. Mais souvent, Micah se souvient des véritables raisons de son émancipation adolescente et se raccroche à sa liberté et à son indépendance.

Encore un peu réticente à se livrer si rapidement, la jeune femme pose une question générale sur les entretiens avec les thérapeutes. Katheryn confirme que les résidents ont parfois du mal à se confier. Rien d’étonnant, Micah elle-même n’est pas à l’aise. Elle sait qu’elle montre là sa motivation, mais elle n’est pas non plus sans savoir que tous ce qu’elle dira sera analysé et donc interprété. En fait, elle se cherche des excuses, et fini par donner quelques informations sachant qu’il ne vaut mieux pas paralyser la discussion.

La question suivante entre un peu plus dans le vif du sujet et Micah entend d’ors et déjà que Katheryn lui demandera bientôt pourquoi elle s’était retrouvée à la rue. Mais finalement, ça rassure Micah.

« Non, c’est le hasard. Je voulais bouger un peu, j’avais pas vraiment de destination. C’est en arrivant à San Francisco que j’ai trouvé deux boulots stables, enfin, presque, et je me suis dit qu’il était tant que je reste en place pour construire quelque chose. »

Construire quoi ? Micah voulait s’instruire, faire des études mais pour cela il lui fallait de l’argent. C’est tout ce qui lui a toujours manqué l’argent et pourtant elle n’en demande pas tant, juste de quoi vivre correctement.

Qu'on se le dise, le première séance, comme les suivantes, ne sont pas plus faciles pour Katheryn que pour ses patients. Elle doit trouver comment les mettre à l'aise, les faire parler sans qu'ils ne se renferment sur eux-même.C'est dur pour elle aussi de trouver les bons mots, de trouver les bonnes explications, leur dire des choses rassurantes, les aider à voir plus clair dans leur passé pour avoir une meilleure vision de leur avenir. C'est compliqué pour tout le monde. Ce n'est pas parce qu'elle est assiste à gribouiller des mots que l'exercice est plus simple pour elle. C'est intimidant pour elle aussi, même si elle le montre un peu moins.

Katheryn y va doucement. Elle pose des questions, espérant bien sûr avoir des réponses, mais sait qu'il peut arriver que sa patiente n'ait pas envie de répondre à certaines de ces questions. Elle lui a même dit qu'elle avait le droit de garder le silence sur certaines choses si elle le désire ou si elle ne se sent pas prête à aborder certains sujets, comme le passé surtout. La psychologue hoche la tête, écoutant attentivement la jeune femme lui raconter comment elle est arrivée ici, et surtout pourquoi.

« Ah oui ? Et tu as travaillé où ? »

Demande-t-elle par curiosité mais également parce que ça l'intéresse de savoir ce qu'elle a pu faire ici depuis qu'elle est arrivée. Elle a eut deux boulots stables, mais que s'est-il bien passé pour qu'elle se retrouve à la rue ? Katheryn espère que Micah lui en parle d'elle-même sans qu'elle ait besoin de lui demander directement.

« Est-ce que tu as réussis à créer quelque chose ? Ce que tu voulais ? »

Micah se sent de plus en plus à l’aise avec Katheryn, il faut dire qu’elle a une motivation vraiment forte pour s’en sortir, elle l’a toujours, c’était d’aide pour la guider dans le monde dont elle avait besoin et elle l’a trouvé au centre. Son sourire, bien que léger, ne ment pas. Sa famille ne l’a pas élevée pour ce monde, voilà pourquoi c’est si compliqué pour Micah d’y faire sa place.

Elle pose son verre d’eau sur le bureau devant elle tout en répondant à la question de sa thérapeute. Micah explique pourquoi et comment elle est arrivée à San Francisco, ça ne la dérange pas d’évoquer ça mais elle reste vague sur les vraies raisons de sa fuite de l’Utah.

« J’étais employée dans un supermarché à Hunter’s point et quand je ne faisais pas ça, je gardais les chihuahuas d’une famille du quartier, je devais m’en occuper comme des gamins. » dit-elle en souriant.

Le souvenir de son entretient d’embauche chez M et Mrs Kampaloff lui revient à l’esprit. L’accent bulgare de madame et ses ongles manucurés rose fuchsia assortis à ses lèvres, l’air mafieux de monsieur et son silence pesant.

Katheryn lui demande ensuite si elle a réussit à construire quelque chose comme elle en avait le désir. Micah tourna son regard à gauche, cherchant une réponse pour elle-même.

« Non, pas vraiment, je voulais étudier. »

Elle commence à frotter ses mains l’une contre l’autre et garde son sourire au visage.

« J’ai suivi des cours pour adulte, pour passer mon bac, mais c’était cher et avec les boulots, c’était… »

Ce souvenir n’est pas des meilleurs, Micah baisse la tête accablée par son propre échec et son sourire devient nostalgique.

« J’étais crevée, j’arrivais pas à suivre, ça a pas marché. » avoue-t-elle enfin.

Les petits boulots, Katheryn a connu ça. A la fin de son adolescence, c'était un choix de travailler, pour prendre une peu d'indépendance par rapport à son père. Économiser pour partir vite à la fin du lycée. S'installer en ville. Ses plans n'ont pas vraiment fonctionné comme elle le voulait. Le peu qu'elle a mit de côté, en travaillant dans une épicerie après les cours et le week-end, tout est parti dans ses études. Des cursus qu'elle a commencé, puis abandonné, n'y trouvant aucun plaisir, aucune envie, aucun intérêt. Son manque d'ambition et de perspectives d'avenir l'ont perdue pendant 2 ans. Elle s'est trouvé quelques petits boulots d'intérimaire pour pourvoir se payer des études en psychologie. C'était sa dernière chance, fatiguée de ne pas trouver sa place et de dépenser son argent dans des études dont elle ne voyait pas le bout. Et finalement, elle s'est trouvé sa place dans ce domaine, il était temps. Voyant que ça marchait plutôt bien, elle s'est trouvé un appartement en centre-ville et a continué de travailler après les cours et à chaque fois qu'elle trouvait du temps. Garde d'enfants, ménage chez des personnes âgées, secrétariat...Elle est passée par pas mal de petits boulots, la plupart non déclarés. Elle sourit, écoutant Micah lui parler de ses boulots. Elle prend note. Son sourire s'estompe quand la jeune femme lui explique ne pas avoir pu continuer les études à cause de la fatigue provoquée par ses emplois.

« Tu as quitté le lycée avant l'obtention de ton bac ? »

Demande-t-elle pour mieux comprendre pourquoi elle ne l'a pas eut. Elle essaye de relier tous les éléments qu'elle lui a raconté jusqu'ici. Pourquoi elle a quitté le lycée avant l'obtention de son diplôme si c'est pour vouloir le passer plusieurs années plus tard. Plusieurs hypothèses se forment dans l'esprit de Katheryn, mais son rôle n'est pas de tirer des conclusions ou des hypothèses. C'est à Micah de cracher le morceau pour pouvoir travailler sur elle-même. Katheryn doit seulement utiliser les éléments qui lui sont donnés, et non pas des suppositions.

« Et maintenant que tu es au centre, tu n'as pas envie de retenter le coup ? »

Katheryn ne sait pas si le centre peut obtenir des aides pour l'éducation de ses pensionnaires ou ce genre de choses. Peut-être devrait-elle évoquer cette idée avec Dean directement. Elle ne sait pas, probablement qu'un conseiller d'orientation pourra plus éclairer Micah qu'elle sur ce point.

« Je pense que c'est quelque chose dont tu devrais parler avec l'un de nos conseillers d'orientation, ils peuvent t'aider pour ça, je pense ! »

Micah se sent de plus en plus à l’aise, elle parle de ses petits boulots à San Francisco, évoque même avec nostalgie son occupation de dog-sitter. Ça ne la dérange pas de parler de tout ça et même si elle a galérer, elle veut bien aussi évoquer quelques moments de tristesse alors qu’elle n’est pas parvenue à réaliser ses projets, mais qu’y peut-elle ? Elle découvre avec Katheryn ce que signifie faire confiance, petit à petit, avec la garantie que la jeune femme est un minimum professionnel. C’est un peu de la confiance en Dean qu’elle rejète sur toute son équipe, Micah se dit qu’il ne doit pas les choisir au hasard après tout.

La question suivante la met pourtant mal à l’aise. L’obtention du bac, c’est en Utah qu’elle aurait due se faire, entre son abandon de la communauté et sa fuite vers l’horizon. Et tout ce qui touche à l’Utah, Micah n’aime pas vraiment le révélé. Elle y viendra peut-être un jour, mais pas maintenant, alors elle choisit de rester vague priant pour pour que la thérapeute en reste là.

« Oui. »

Elle sourit.

Katheryn lui demande alors si elle n’aimerait pas retenter le coup et son visage s’illumine. Bien sûr que si, elle voudrait vraiment accomplir ça, mais ça lui semble tellement inaccessible maintenant. Elle a échoué à plusieurs reprises et Micah n’imagine pas pouvoir y parvenir aujourd’hui, et pourtant, elle garde cet espoir bien au fond, prêt à resurgir.

« Si, j’aimerais bien, mais, j’ai vraiment du retard et c’est toujours plus dur quand on est adulte. »

Enfin, Micah ne pense pas abandonner l’idée sans rien faire. Bien sûr qu’elle va en parler à son conseiller d’orientation. Toujours souriante, la jeune femme passe une main dans ses cheveux avant de dire sûre d’elle :

« Oh oui, je le ferais ! »

Jusque là, Katheryn sent que Micah n'a pas de difficulté particulière pour se confier. C'est un bon point. Mais elle remarque bien vite qu'il y a bien quelque chose qui bloque, qu'elle garde pour elle. Tout ce qui semble toucher à son passé, dans sa ville d'origine. Elle a forcément vécu quelque chose là bas, mais pour le moment Katheryn ne se focalise pas là dessus. Ce n'est que la première séance, c'est normal que la jeune femme garde certainement choses pour elle. Elle abordera le sujet quand le moment sera venu. Pour le moment, ça ne bloque pas la séance. Katheryn note ses remarques sur sa feuille à l'aide d'un point d'interrogation. Elle creuseront ça plus tard. Kathy n'insiste pas sur la raison pour laquelle sa patiente a quitté le lycée avant la fin du cursus scolaire. La bonne nouvelle, c'est de voir que Micah a eut envie de s'en sortir et malgré son échec, elle garde toujours cette envie quelque part.

« C'est vrai que rattraper son retard c'est difficile, mais avec suffisamment de motivation et de soutien, je suis sûre que ça peut se faire. Ici, on te laissera pas tomber pour tes projets. »

La rassure Katheryn. Elle ne veut pas lui faire peur, au contraire. Elle l'encourage. Trouver un emploi est quelque chose de difficile quand on a passé plusieurs années dans la rue, mais encore plus quand on a aucun bagages, aucun diplôme. Heureusement, les commerçants du coin sont tolérants, mais peut-être que Micah a d'autres ambitions, d'autres projets. Katheryn regarde rapidement sa montre, pour voir où elles en sont au niveau du temps. Il reste encore un bon quart d'heure avant la fin de la séance.

« Que s'est-il passé pour que tu te retrouves à la rue ? »

Elles n'ont peut-être pas le temps d'aborder le sujet, mais pourquoi pas commencer quand même ? Micah a peut-être des choses à raconter à ce sujet avant la fin de la séance.

La thérapeute est rassurante et encourageante. Micah ne craint pas d’être avec elle, au contraire, cela fait un bon moment qu’elles parlent maintenant et la jeune femme réalise à quel point le seigneur l’a envoyée sur la bonne voie. Elle garde un gentil sourire sur le visage et répond aux questions sans accro, ne prenant pas garde aux notes que prend Katheryn, c’est son boulot, rien d’autre. Si elle hésite à tout dire, Micah ne se ferme pas comme une huître, laissant sans doute un peu d’espoir à sa thérapeute de découvrir le fin mot de l’histoire. Mais pour le moment elle n’est pas prête. Micah n’a pas envie de voir encore ce regard mélange de pitié et de dégout. Les communautés polygames sont mal vues, elle l’a bien rapidement compris en essayant d’être honnête au début, puis peu à peu, la honte, la culpabilité, le regard des autres, le meilleur moyen de ne se sentir nul part chez elle. Sa communauté la traite de traîtresse, les autres la rejettent à cause de ses origines, alors depuis qu’elle est majeure, Micah préfère restait discrète et secrète sur tout ça.

Katheryn ne relève pas, elle a sans doute comprit que c’est là que le bat blesse, elle ne veut pas la braquer, Micah le devine de suite et se sent soulagée. Elle redit des mots encourageant. Micah se laisse donc aller à sourire plus largement et son espoir revient faire briller ses pupilles.

Une nouvelle question vient. C’est un peu difficile à nouveau pour Micah de répondre à celle-là, mais elle en fait l’effort.

« Et bien, c’est le cercle. J’avais deux boulots et les cours du soir à gérer, c’était vraiment épuisant. J’ai loupé plusieurs fois mon heure d’embauche au supermarché, alors on m’a renvoyée. Ensuite, j’ai eu du mal à joindre les deux bouts et dans l’urgence, en attendant de trouver mieux, je volais deux trois trucs pour manger, j’préférais payer le loyer et continuer les cours. Puis mes patrons l’ont su, mes autres patrons, ceux avec les chiens, et ils m’ont virée. »

Elle parle d’un ton sans aigreur, n’en veut à personne à part au hasard pour toutes ces déconvenues. Micah a honte d’avoir du volé, mais elle ne voyait pas d’autre solution à l’époque.

« Voilà, après ça n’a été qu’une question de temps pour que mon proprio me jette dehors vu que je payais plus le loyer, j’avais mis un peu d’argent de côté pour éviter ça, mais j’ai tout dépensé pour les frais d’inscription et les cours pour adulte. »

Micah pince se lèvres, comme une gamine, comme si elle avait honte de ne pas avoir réfléchit à toutes les éventualités possibles. Elle ouvre ses mains sur ses jambes et le referme signe qu’elle a fini son récit. Une histoire classique.

Malgré quelques zones encore un peu sombre, Katheryn ne bronche pas et prend ce que veut bien lui dire Micah. Elle lui en dit déjà beaucoup. Plus qu'elle ne l'espérait même. En cette première séance de thérapie, la jeune femme a l'impression d'avoir déjà bien avancé. Elle ressent une véritable envie d'avancer chez sa patiente. Une motivation. Katheryn ne cesse de se montrer encourageante, pour lui faire comprendre qu'elle peut lui parler, que tout ça reste bien entre elles et que, par dessus tout, ce qu'elle ne lui dit pas aujourd'hui, elle pourra lui dire plus tard, quand elle sera prête à s'ouvrir complètement. Kathy ne peut pas complètement comprendre la détresse de ses patients. Malgré quelques problèmes familliaux, elle n'a pas de passé horrible ou dramatique à cacher. Certaines histoires qu'elle entend sont parfois sordides. Mais malgré ça, elle ne porte aucun jugement parce qu'elle n'a pas à le faire, et que ce n'est pas dans sa nature. Tout ce qu'elle peut avoir en commun avec ces personnes, c'est d'avoir vécu quelques temps dans la rue, et encore, ce n'était pas grand chose comparé à elles. Elle, elle avait un sac avec le minimum vital, un peu d'argent. Elle se débrouillait. Alors elle ne peut pas complètement comprendre, mais un peu quand même.

« Oui, je vois. L'effet domino. »

C'est un constat. Pour des personnes modestes, quand arrive une petite galère, ça en devient rapidement une grosse. Un cercle vicieux. Micah n'a pas eut de chance, mais rien n'est encore perdu. Elle se retrouve au centre aujourd'hui et c'est une preuve qu'elle remonte la pente. Intégrer le centre Adam Hawkes, c'est se redonner une chance de s'en sortir. Katheryn hoche la tête en écoutant attentivement, continuant à gribouiller sur sa feuille les quelques informations qu'elle attrape par-ci, par-là. Sa patiente semble avoir terminé son histoire.

« Aujourd'hui, qu'attends-tu de ce thérapie ? »

Demande la thérapeute pour meubler, en quelque sorte, les quelques minutes qui restent avant la fin de la séance. Ce n'est pas une question piège, elle essaye de cerner au mieux les attentes de sa patiente. Certains n'y voient aucune utilité, d'autre un véritable purgatoire. Chacun sa vision de la chose.

C’est étrange, depuis le début de la séance, Micah a déjà l’impression d’avoir bien avancé. Elle n’imaginait pas qu’une simple discussion pouvait lui faire autant de bien, et pourtant, Micah n’a pas l’impression de s’être beaucoup confiée, en fait, elle pensait que Katheryn aurait besoin de plus d’informations. Mais loin d’être un interrogatoire de police, Micah apprécie en fait que quelqu’un l’écoute vraiment. Elle avait ressentit ça aussi avec Dean, lors du tout premier entretient, et avec ce prêtre qui l’avait conduite vers le centre. Finalement, Micah réalise que tout reste à faire et qu’il n’y a que l’espoir devant elle.

Elle explique dans les moindre détails la raison pour laquelle elle s’est retrouvée à la rue, enfin, peut être pas dans les moindre détails, mais Katheryn semble rapidement saisir l’essence même du problème qui a touché Micah. Elle sourit amèrement, baisse le regard et tripote ses mains encore un peu, au cas où.

Finalement, ce qui semble être une dernière question, mais non la moindre. Micah n’a aucune idée de ce qu’elle attend de cette thérapie. En fait, elle ignorait presque ce qu’était une thérapie avant d’entrer dans ce bureau. Elle relève un regard perdu vers Katheryn et plisse le front.

« Euh, j’en sais trop rien, j’attends de voir. »

Elle ne peut pas être plus vague, mais pas plus honnête non plus.

Katheryn n'a pas l'impression de faire beaucoup pour que Micah se mette à parler, c'est bon signe. Avec certains patients, elle a l'impression de donner tout ce qu'elle a pour obtenir quelques petites informations. Mais là, ça vient presque tout seul. Enfin, façon de parler. Elle ressent une véritable volonté de s'en sortir chez sa patiente, une chose plutôt rare dès la première séances. La plupart son craintif, méfiants, timides ou intimidés. Micah n'a pas l'air d'être complètement à son aise, mais malgré la retenue que Kathy peut percevoir, elle est tout de même très courageuse de se livrer de cette manière. Elle l'admire un peu, pour ça.

Katheryn est très attentive. Elle prend quelques notes. Assez pour garder une trace écrite de l'essentiel mais pas trop pour rester concentrée et ne pas perdre une miette de son récit tout en continuant de gribouiller quelques mots clés sur sa feuille. Elle a la chance de pouvoir écrire et écouter en même temps et a trouvé une bonne méthode de prise de notes lorsqu'elle était à l'université. Une méthode qui lui sert bien dans sa vie professionnelle, dans des instants comme celui-ci.

« D'accord. »

Acquiesce Katheryn en relevant ses yeux vers la pensionnaire. Elle est peut-être un peu perdue, ce qui est facilement compréhensible. La thérapeute ne lui en tient pas rigueur. Jetant un coup d'oeil à sa montre, Katheryn sourit à sa patiente. L'heure de la libérer est arrivée. Lui offrant un sourire amical et rassurant, elle lui annonce la nouvelle.

« La fin de notre séance est arrivée, Micah. On se revoit après les fêtes, d'accord ? »

Ce n’est pas évident pour Micah de se livrer ainsi, même si pour l’instant elle n’a donné que quelques bribes d’informations un peu superficielles, la jeune femme a déjà l’impression de s’être libérer d’une partie de son passé. Une toute petite partie. Elle regarde sa thérapeute avec un sourire léger mais serein et dans son regard se lit un remerciement silencieux.

Katheryn demande à Micah ce qu’elle attend de cette thérapie, c’est sans doute signe que la séance prend fin. Même si ça n’a pas été une torture terrible, Micah est quand même soulagée de savoir que cette heure est derrière elle. Elle se dit qu’elle n’angoissera pas autant la prochaine fois, et déjà ses mains se décrispent.

La thérapeute semble percevoir dans la réponse de Micah qu’elle est un peu perdue, elle n’insiste pas sur le sujet, même si elle l’avait fait, Micah aurait été bien incapable de trouver quoi répondre et pas par mauvaise fois.

C’est l’heure en effet, Katheryn l’annonce. Micah reviendra après les fêtes, et il y aura aussi les discussions de groupe, ce sera une nouvelle année, une toute nouvelle année qu’elle s’apprête à vraiment bien commencer.

« Oui, merci, bonnes fêtes alors. » souhaite-t-elle à sa thérapeute avec de se lever et de quitter le bureau non sans adresser un dernier sourire à la brune.

Fin de la scène.