I care about you • Jill

En sortant du restaurant, Mason retrouve Desmond, le sourire complètement effacé. Il ne parle pas, lui indique la direction de sa voiture du bout de la tête. Ils marchent quelques mètres et les quinze premières minutes qui mènent à Oakland sont à la fois très longues et très silencieuses. Puis, c’est Desmond qui rompt le silence. Du bout des lèvres, il ouvre la bouche, se retient puis se lance.

« Drôle de soirée hein… »

Mason tourne la tête, il sourit avec ironie.

« Ouais, et tu penses me donner une explication ? »

Il a toujours su que les vantardises de Desmond concernant son tableau de chasse étaient un peu exagérées. Desmond est un beau parleur, un peu rustre, voilà pourquoi c’est si compliqué d’imaginer qu’il a eu une histoire avec Jill, ils sont si différents, et cela semble vraiment les mettre al à l’aise l’un est l’autre. Mason parle un peu séchement. Il a beau connaitre Desmond depuis le lycée, il ne peut s’empêcher de pencher un peu du côté de Jill, sans doute parce qu’elle a besoin de plus de protection.

« Hey, doucement là, j’ai rien fait de mal moi, juste rencontrer une vieille amie. »

Il essai de faire de l’humour mais ça ne prend par pour Mason qui à le crâne sous pression.

« Je sais pas ce qui s’est passé exactement entre toi et Jill et je suis pratiquement sûr que ça me regarde pas. »

Mais une fois qu’il aura déposé son ami, il ira droit vers elle pour en savoir plus ou en tout cas pour lui montrer qu’il a bien compris que quelque chose l’embêtait et être là tout simplement, même si elle n’a pas envie d’en parler. Voilà pourquoi il ne ressent pas le besoin de poser des questions à Desmond. Il se contente de se renfermer.

« Ouais, c’est une … euh… c’était pas vraiment une relation normale. »

Non, il n’a vraiment pas envie de savoir, Mason est conscient qu’en refusant toute explication il risque de finir sa vie en ignorant le fond de l’histoire, mais sa curiosité n’est pas aussi forte. Seulement il semble que moins on veut obtenir une information et plus rapidement elle vous arrive.

« Disons que les filles avec qui je sors parfois, je, je les paye. »

Mason hausse un sourcil, il n’est pas sûr de comprendre ce que tente de lui expliquer Desmond à moins qu’il ne veuille pas vraiment comprendre.
Le menuisier garde le silence et salut son pote d’à peine quelques mots au moment où il quitte la voiture.

Une demi-heure plus tard, Mason est de retour à Haight Ashbury, devant le Dealey Plaza qui ferme ses portes. Il repère Jill et s’arme d’un beau sourire histoire de ne pas l’affoler. Il veut juste se montrer présent.

« Coucou, allez viens, j’t’emmène manger des crêpes. »

Il l’attrape gentiment par le bras et l’entraîne quelques rues plus loin dans un mignon petit dinner ouvert toute la nuit et sans prétention. Sur le chemin, Mason dédramatise la situation en parlant de quelques banalités. Une fois installés à une table, il en revient au sujet qui l’intéresse essayant de ne pas se montrer trop curieux.

« Jill, Desmond m’a pas dit grand-chose et je sais pas trop ce qu’il essayait de me faire comprendre, mais j’imagine que ça fait parti de ton passé et si tu n’as pas envie d’en parler, je comprendrais. Mais, j'en ai assez entendu pour ne pas m'empêcher de me faire des idées. »

Ce qu'il s'est passé au restaurant a vraiment chamboulé Jill, mais elle a fait de son mieux pour ne pas se comporter bizarrement lors de son service. Heureusement qu'elle ne tardait pas à finir. Mais l'histoire ne finit pas là. Mason voulait la revoir après, pour manger des crêpes, et parler. Certes, il s'est montré gentil, comme toujours, ne voulant pas l'obliger à faire quelque chose si elle ne veut pas, mais Jill sait bien qu'un jour ou l'autre, il devrait en apprendre un peu plus sur sa vie. Si la jeune femme ne lui a pas tout raconté jusqu'à maintenant, c'est qu'elle a peur qu'il la laisse tomber, comme ce qu'a fait sa mère, comme ce qu'ont fait ses "amis" de lycée. Mason est bien la première personne qui porte un aussi grand intérêt pour elle, et elle ne veut pas perdre cela.

A la fin de son service, Jill sort dehors et reste devant l'entrée, ayant pris soin de mettre son manteau puisqu'il fait assez frais quand même. Cependant, elle avait besoin d'air après cette journée. Pensive, elle aurait presque zappé que Mason est déjà arrive devant le restaurant. Il la salue et l'attrape par le bras, et les deux prennent la direction d'un diner que Jill connaît bien. Le menuisier, comme d'habitude, détend l'atmosphère, et parle de tout et n'importe quoi, ce qui soulage la jeune femme d'un côté. C'est lorsqu'ils se mettent à une table qu'il reprend la parole, en parlant de ce qu'il s'est passé avec Desmond. C'est qu'il lui a dit quelque chose... Jill ne veut pas mentir à Mason, et elle ne le fera pas. Elle finira par lui dire la vérité. Elle veut être honnête avec lui, après tout ce qu'il a fait pour elle, c'est la moindre des choses qu'elle puisse faire.

Qu'est-ce qu'il t'a dit exactement ?

Demande-t-elle, en posant son regard directement sur Mason. Elle sait qu'il ne l'obligera pas à parler, mais maintenant qu'il sait qu'il y a une histoire derrière tout ça, elle ne peut pas lui mentir.

Dans le petit dinner désert, Mason et Jill revienne sur les derniers évènements de la soirée. Mason depuis le début essaye de ne pas se focaliser sur les bribes d’informations qu’il a eu par Desmond pour se concentrer sur Jill, ce qu’elle a envie de dire ou de ne pas dire. Si elle préfère se taire, il comprendra, mais quelque part, et malgré son respect pour la jeune femme, il se dit que connaître la vérité sera pour lui un moyen d’avoir les armes en main pour défendre sa protégée. Il lui explique tout ça, très simplement, préférant jouer la carte de l’honnêteté plutôt que d’obtenir des informations par des voies détournées.

« Il m’a dit qu’il … aherm, qu’il avait eu une relation avec toi, et qu’il … qu’il t’avais payé, enfin, c’est ce que j’ai compris en mettant bout à bout ce qu’il me confiait. »

C’est étrange, c’est la première fois depuis le début de la soirée qu’il verbalise ce qu’il avait peur de comprendre tout ce temps, et finalement, ça a l’air encore plus terrible dit ainsi. Gêné d’entrer ainsi dans l’intimité de Jill, Mason rougit et baisse le regard pour se concentrer sur son assiette de crêpes

Après son service, Jill accompagne Mason à petit dinner à quelques mètres du Dealey Plaza. En attendant le menuisier, Jill pense à comment elle allait lui parler de cette histoire, s'il allait lui poser plein de questions, s'il allait la laisser tomber après avoir entendu ce qu'elle a à dire, parce qu'elle a fait quelque chose de mal. C'est la première fois en même temps que quelqu'un lui porte un intérêt pareil et elle ne sait pas exactement comment ça marche. En route, Mason lui parle un peu de tout et de rien, et détend l'atmosphère, comme il le fait souvent, et si bien. Jill trouve qu'elle a vraiment eu de la chance de le connaître. Elle ne s'est jamais bien sentie avec quelqu'un. Mason est en quelque sorte sa famille. Une fois à l'intérieur du dinner, il commande des crêpes pour eux deux, même si la jeune femme n'a pas spécialement faim, avec tout ce qu'il s'est passé aujourd'hui. Le jeune homme entre dans le vif du sujet, et Jill voulait savoir ce que lui a exactement dit Desmond.

C'est vrai.

Souffle-t-elle, n'osant pas regarder Mason dans les yeux mais prend tout de même son courage entre deux mains pour lui expliquer ce qu'il s'est passé.

Je n'avais plus d'argent et je l'ai rencontré. Il m'a proposé son aide, mais.. mais il voulait quelque chose en échange.

Cette histoire a beaucoup affecté Jill. C'était comme la cerise pourrie sur le gâteau sans goût, qui est sa vie. En même temps, elle n'avait pas le choix. Elle n'aurait pas trouvé un travail en moins d'une semaine, et elle doit acheter régulièrement son médicament. C'est d'ailleurs la raison principale pour laquelle elle a fait ça. Elle ne veut pas être un danger pour elle-même, encore plus pour les autres. Être bipolaire n'est pas facile.

Je n'avais pas d'autre choix.

Mason ignore encore beaucoup sur la vie de Jill et ce par quoi elle est passée. Il ne sait pas qu’elle est malade et il sait encore moins ce que le désespoir peut vous forcer à faire. Ou en fait si, il le sait. Son désespoir à lui l’avait mené à frapper sa femme, l’être qu’il aimait le plus au monde à l’instant où il l’avait rencontrée. Mason n’a peut être pas connu les affres de la vie d’un sans domicile fixe, mais il sait en tout cas que la vie peut être une chienne et vous forcer à sortir le plus mauvais de vous-même et à vous détruire.

Voilà pourquoi il ne juge pas Jill, il ne juge pas Desmond non plus même si son instinct de protection le pousse à le voir sous un nouveau jour : antipathique. Mason ne cesse d’imaginer Amelia à la place de Jill, et sa lui fait froid dans le dos, non, définitivement hors de question qu’elle quitte la maison pour sortir avec des garçons avant l’âge de 40 ans !

Mais au moins, les choses sont dites, Mason sait désormais une part des difficultés qu’à du affronter Jill. La jeune femme s’explique devant son assiette de crêpes qu’elle a à peine effleurée, son regard est fuyant, comme si elle devait se justifier. Mason n’a aucune envie de la juger sur quoi que ce soit et encore moins sur ce que le désespoir de cause l’a poussé à faire.

« Desmond est … un paumé ! »

Ces mots sont dis avec véhémence, secs et durs. Parce que Mason, s’il ne choisit pas de camp, est sûr de la culpabilité de son ami d’enfance, il est surtout vraiment déçu de voir que celui-ci ne se contente pas de téléphoner à un numéro rose au lieu de débaucher des jeunes filles innocentes qui n’ont rien demandé.
Il laisse le silence gagner peu à peu du terrain, le visage fermé, avant de relever le regard vers Jill, compatissant.

« Je sais à quel point on peut faire des choses affreuses en désespoir de cause, je sais aussi à quel point ça peut nous blesser profondément. »

Cette phrase ne la réconfortera peut être pas, mais il veut lui montrer qu’il comprend une partie de sa douleur.

Jill avait pensé aux bons mots pour expliquer la situation à Mason, mais elle ne les trouve pas vraiment. Peut-être qu'elle devait attendre à ce qu'ils abordent le sujet, peut-être que ça finira par venir. Jamais Jill n'a parlé de ce sujet, à qui que ce soit, même pas à son thérapeute, elle n'en est pas encore arrivée là. Mais voilà qu'elle allait tout dire à Mason, et ça ne lui fait pas plus mal que ça. Certes, c'est difficile dans la mesure où elle craint qu'il allait la juger ou s'éloigner d'elle, de peur qu'elle ait une mauvaise influence sur sa fille ou autre. Mais d'un autre côté, elle se sent si bien avec Mason qu'elle serait presque prête à lui raconter toute sa vie. C'est le grand frère qu'elle n'a jamais eue, c'est sa famille. C'est la seule personne qui lui porte de l'intérêt, qui s'inquiète pour elle, qui veut écouter ce qu'elle a à dire, et Dieu sait combien Jill a besoin de ça, ne l'ayant jamais eu. Elle finit alors par lancer le morceau, lui disant ce qu'il s'est passé avec Desmond et Mason traite son ami de paumé. Il reprend ensuite la parole, et prononce les bons mots, comme il le fait toujours.

Oui ça... ça m'a blessée.

Dit-elle, en baissant encore une fois la tête. Elle sent ses joues rougir en parlant de ça. C'est difficile pour elle. Elle veut oublier son passé, mais peut-être qu'elle ne pourra pas aller de l'avant si elle ne partage pas ses émotions. C'est ce que son thérapeute lui dit d'ailleurs, qu'il faudrait en parler, pour se débarrasser de la peine et surtout de la haine.

Je comprendrais si tu ne veux plus de moi dans ta vie.

Reprend-elle, posant brièvement son regard sur celui de Mason. Elle espère que ce ne soit pas le cas, mais elle le dit quand même, pour qu'il ne se sente pas obligé de quoi que ce soit.

C’est un peu le hasard qui fait qu’ils osent là à parler de … ça. Mason n’est pas sûr d’être le plus qualifié pour aider son amie à exorciser ses peines et ses douleurs, mais il se trouve qu’il est là et il ne s’imagine pas lui tourner le dos à ce moment précis. Il n’a jamais rien calculé de tout ça, et il ne s’est jamais immiscé trop loin dans les secrets d’autres personnes. Mason est franc et n’hésite pas à dire ce qu’il pense, mais il sait aussi respecter le jardin de tout un chacun et même si parfois curieux, il reste à l’écart de certaines choses volontairement.

Sauf que désormais, le point de non retour est franchi. Jill s’ouvre peu à peu, et il apprend à la connaitre sous un nouveau jour, alors Mason ne veut pas lui fermer la porte au nez. Il reste serein, quoique chamboulé. Ce qu’il peut faire ? Dire quelques mots qu’il pense sincèrement.

« Tu n’es pas responsable. » ajoute-t-il pour éviter qu’elle ne culpabilise.

Mason n’est pas sûr de lui malgré ce qu’on pourrait croire, il hésite et tâtonne pour trouver les mots justes, son cerveau est en ébullition. Mais l’intervention de Jill vient tout stopper, le laissant coi.

« Jill, pourquoi je ne voudrais plus de toi dans ma vie, c’est ridicule. » dit-il en souriant légèrement se voulant réconfortant.

« Je choisis pas mes amis en fonction de leur passé ou même de leur futur. »

La preuve avec Desmond n’est ce pas, quoi qu’il ait bien besoin d’une petite explication avec celui-là pour comprendre ses motivations.

Parler de ce sujet s'avère assez difficile pour Jill, puisque, jusqu'à maintenant, elle n'en a jamais parlé. Et y penser ressasse plusieurs mauvais souvenirs de sa vie à Oakland. Elle s'était promis de ne plus jamais y aller, pas après tout ce qu'elle a dû y vivre. Le pays est assez grand, si jamais elle quitte San Francisco, Oakland est le dernier endroit où elle voudrait aller. La jeune femme ne peut apparemment pas complètement se détacher de son passé apparemment, puisque son histoire avec Desmond l'a suivie. Il a fallu que celui-ci soit l'ami de Mason, probablement la seule personne qui lui porte intérêt et qui est toujours présent sur elle. Elle finit alors par lui dire que c'est vrai, que Desmond lui avait donné de l'argent, après qu'elle ait passé la nuit avec lui. Ce n'est pas quelque chose dont elle est fière, elle se déteste d'avoir fait une chose pareille. Et c'était sa première fois, qui plus est. Quoi de plus horrible que de passer sa première nuit avec un inconnu pour de l'argent.

Comme d'habitude, Mason se montre compréhensif, et lui dit qu'il n'y a aucune raison pour qu'il ne veuille pas d'elle dans sa vie, qu'il ne choisis pas ses amis en fonction de leur passé ou futur.

J'avais mes raisons... Je n'en suis vraiment pas fière.

Rajoute-t-elle, sentant cette nécessité de lui dire cela. Elle reprend ensuite la parole, avec un semblant de petit sourire aux lèvres.

Merci... d'être aussi compréhensif.

S’il s’était douté un instant de la vie passée de Jill, peut être que Mason n’aurait pas été si ouvert avec elle au début. Parce que la nature humaine est ainsi faite et qu’on peut bien vite sauter aux conclusions, et peut être que si Jill savait que Mason n’est pas aussi fort qu’il veut le faire croire, elle n’aurait plus envie de le voir. De toute manière, ce n’aurait été qu’une question de temps, le temps que Mason s’intéresse à la vraie Jill et non à celle qu’un lambda aurait voulu qu’elle soit. Seulement l’univers a bien fait les choses et à permis à Mason de connaitre Jill pour ce qu’elle est vraiment, sans ces interférences de la vie qui ne sont pas belles à raconter et encore moins à vivre. Aujourd’hui ils sont amis et jamais il n’abandonnerait une amie. Quoi qu’il ait pu se passer dans sa vie, Mason à confiance en Jill et est certain qu’elle est une bonne personne.

Il lui adresse un regard plein de compassion, sourit avec tendresse et lui fait ainsi comprendre qu’elle n’a rien fait de mal et qu’il veut encore d’elle dans sa vie, plus que jamais.

« On fait tous des choses dont on est pas fière. » lâche-t-il un peu distrait repensant à ses propres erreurs.

Jill le remercie alors d’être aussi compréhensif, mais ça lui semble tellement normal et naturel. Il sourit de plus belle et se sent piqué d’une démangeaison étrange, l’envie de mettre les compteurs à zéro, et de faire à son tour une conférence à la brunette.

« On fait tous des choses dont on est pas fier mais certains font pire, pour eux-mêmes, ou pour les autres. Je … j’ai fait des erreurs aussi, et pas bien belles non plus. » dit-il un peu hésitant.

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