Thea est au centre depuis un peu moins d'un mois maintenant et si elle s'est habituée aux locaux et au lieu, les résidents sont encore un mystère pour elle. Elle n'a pas rencontré grand monde. Deux trois résidents, au détour d'un couloir ou dans une partie commune du centre. Elle ne sort pas des masses de sa chambre mais de plus en plus depuis quelques jours. Elle fait des efforts pour s'ouvrir un peu aux autres. Elle n'a pas trop le choix., paraît que ça fait partie du jeu. La thérapie, tout ça. Et puis, même pour elle. Il paraît qu'on s'en sort mieux entouré que seul. Donc même si ça ne l'enchante pas de faire copain-copain avec les autres résidents du centre, il faut bien qu'elle le fasse toute de même. C'est le jeu. Apprendre à vivre en communauté, faire preuve de solidarité...

De tout manière, elle ne peut pas rester éternellement dans sa chambre. Elle commence à connaître par coeur chaque centimètre carré de la pièce. Elle ressent le besoin de sortir s'aérer de plus en plus souvent. Elle ne s'aventure encore que très rarement hors du centre. Elle se promène donc souvent dans le salon du premier étage ou dans la cour, où il lui arrive de croiser quelques autres résidents avec qui elle engage parfois la conversation, même si ce ne sont que quelques mots. Un bonjour, un signe de tête, un sourire. Pas grand chose, mais un début.

Sortant de sa chambre en claquant la porte, la blonde marche en observant le sol, les cheveux dans le visage. Elle ne fait tout simplement pas attention à ce qui peut se passer autour d'elle. Ses pas l'engagent dans le couloir mais se stoppent d'un coup. Un bruit électronique la fait sursauter. Elle relève la tête en fronçant les sourcils, se trouvant nez à nez avec un objectif. Clignant des yeux, elle fait un mouvement de recul, comme si cet objectif l'empêchait de voir qui se tient derrière. Elle reconnait le mec qu'elle a croisé au tout début. Il est arrivé le lendemain de son entrée au centre. Elle visitait les locaux quand il se sont croisés, mais n'ont pas réellement échangé, ce jour là. Elle est surprise de le recroiser, mais encore plus avec cet appareil entre les mains.

« Tu fais quoi ? »

Demande-t-elle, surprise.

S'il s'était attendu à une réaction comme celle-ci, Nathan n'aurait pas pris cette photo. En un sens, il pouvait la comprendre, il aurait sans doute fait la même tête si on l'avait pris en photo sans le prévenir. Il hésita un instant avant de sortir son visage de derrière son appareil pour se présenter. Ne sachant pas trop si la jeune femme se souvenait de lui, il lui adressa un petit sourire gêné avant de baisser son poignet.

Il ne savait pas vraiment comme s'y prendre. A vrai dire, à part le mec avec qui il partageait sa salle de bain, Nathan ne connaissait pas vraiment grand-monde. Il espérait que la jolie blonde pourrait devenir une amie. Ou au moins une personne avec qui il pourrait parler de temps à autres.

« Je... te prenais en photo. »

Répondit-il, toujours un peu gêné, avant de lui tendre la main pour la saluer.

« J'm'appelle Nathan, j'suis arrivé y'a pas longtemps ici. Et... j't'avais croisé dans un couloir ce jour-là. »

Ajouta Nathan en essayant d'avoir l'air plus confiant. Il n'était pas vraiment doué pour se présenter. Surtout ces derniers temps. Mais s'il ne voulait pas passer pour un psychopathe.

« Tu veux voir le cliché ? »

Au fond, il espérait juste qu'elle ne lui demande pas de l'effacer. Du peu qu'il en avait vu, il trouvait la photo plutôt réussie. On la devinait à peine, il l'avait prise rapidement et s'était fait trahir par le bruit de son appareil.

Surprise, Thea ne se rend pas compte de sa réaction tout de suite. En fait, elle réalise même qu'elle peut paraître agressive alors que ce n'était pas ça du tout. Elle a bien vu qu'il la prenait en photo, mais la question, c'est : pourquoi ? Pourquoi faire ? Pourquoi elle ? Ça doit être un délire d'artiste paumé, certainement. Car oui, si il est là, c'est qu'il est comme à peu près tous les résidents : paumé au point d'intégrer un centre pour sans-abris dans le but de retrouver un équilibre et une vie normale. Se réintégrer à la vie. Bref. L'art, dans la plupart de ses formes, elle n'y comprend rien. Elle ne sait pas d'où ni comment vient l'inspiration ni ce qui en résulte. Elle n'a jamais été intéressée par l'art. A part pour la danse. Mais c'est loin derrière elle, maintenant.

La réponse du photographe la surprend peut-être tout autant que sa propre question. Il faut dire que la réponse était tellement évidente que même la question en était inutile. Elle se sent un peu idiote, sur le moment. Observant la main tendue devant elle, elle la saisie, un peu hésitante. Ça lui fait bizarre de serrer la main à quelqu'un ici. Ça fait très formel, mais pourquoi pas. Elle se souvient de lui. Ils se sont croisés il y a quelques semaines. Elle venait d'arriver, et ils se sont croisés quelques secondes. Elle ne pensais même pas qu'il se souviendrait d'elle.

« Oui j'me souviens. Tu venais d'arriver, c'est ça ? Moi aussi. »

Répond-t-elle en prenant un air sympathique. Elle était un peu perdue ce jour là, elle essayait de prendre ses marques, sans grand succès. Réalisant qu'elle n'a pas joué la carte de la politesse, elle se reprend, secouant la tête, comme pour se reprendre.

« Je m'appelle Thea. »

L'informe-t-elle en haussant les épaules. Elle ne sait pas si cette information lui sera d'une quelconque utilité. Peut-être ne s'est-il présenté que par formalité. Peut-être bien qu'il se fiche de son prénom à elle, ou qu'il l'aura oublié d'ici une heure ou deux. Ou peut-être pas. Il fera bien ce qu'il veut de cette information. Mais quitte à discuter un peu, autant qu'il s'en souvienne. Elle n'a pas envie de se faire d'ennemis ici. Elle ne demande pas non plus à se faire absolument des amis, mais si jamais ça arrivait, ce serait plus cool, c'est sûr.

« Heu, oui. Enfin, ça m'fait bizarre. J'ai pas l'habitude qu'on me prenne en photo. »

En fait, elle en a plus l'habitude qu'elle ne le prétend, mais c'était dans un contexte complètement différent, du temps où elle dansait à moitié ou complètement nue sur une scène pour des hommes. Là bas, ce n'était pas rare que des garçons, souvent en bande, s'amusent à la prendre en photo ou la filmer, pour garder un souvenir de leur première ou de leur seule soirée dans une boîte à strip-tease. Mais là, elle ne voyait pas les clichés, alors c'était différent. Elle ne pouvait pas se juger.

Nathan était le genre de photographe a capturé l'instant présent sans trop se poser de questions. Il attendait rarement pour prendre une photo, tout d'abord parce que la lumière n'était jamais la même d'un instant à l'autre, alors s'il devait attendre une journée... Pas la peine! Néanmoins, il n'avait pas hésité à attendre un peu pour capturé Théa. Et maintenant que son envie était satisfaite, il n'aurait pas besoin de la suivre partout où elle pourrait aller - ce qui le ferait un peu passer pour un malade/pervers.

Il se sentait un peu soulagé, en un sens, qu'elle se souvienne de lui. Au moins, il avait attiré son attention. Mais de là à savoir si c'était dans le bon sens...

Le jeune homme hocha la tête en guise d'affirmation lorsqu'elle lui demanda s'il venait d'arriver ce jour-là. Il s'en souvenait avec une certaine amertume. Son arrivée au centre sonnait un peu comme un échec pour lui. A Montréal, il avait trouvé plusieurs petits boulots sans trop de difficultés mais il n'avait pas eu cette même facilité ici, surtout en apprenant que ses parents avaient déménagés et sans doute jamais essayé de le chercher.

Un sourire aux lèvres, il imprima le prénom de la jolie jeune femme dans un coin de sa tête.

« Enchanté, Théa! »

Lança le jeune homme avant de lui tendre l'appareil photo pour qu'elle puisse juger par elle-même du résultat du cliché. Au fond de lui, il espérait vraiment qu'elle ne lui demanderait pas de l'effacer. Il ne la connaissait pas, elle ne le connaissait pas, mais au fond, ça ne le dérangerait pas d'apprendre à la connaître. Ici, il ne connaissait personne, et se faire une alliée/amie pour être une bonne chose.

Thea n'y connait pas grand chose en art. Elle trouve ça tellement vaste qu'elle s'y perd. Il y a trop de courants, trop de modes d'expressions et trop de points de vue différents. C'est trop abstrait pour elle. Mais elle comprend que certaines personnes puissent être passionnées. C'est étonnant pour elle d'être la cible de l'objectif du jeune homme. Elle ne se trouve pas particulièrement jolie ni photogénique. Alors pourquoi serait-elle un modèle pour la pellicule du brun ? Ils ne se connaissent même pas. Enfin, ils ont échangé quelques mots il y a plusieurs semaines, quand ils ont débarqué au centre. Mais ils ne connaissent même pas le prénom de l'autre. Ni rien d'autre si ce n'est qu'ils sont arrivés pratiquement en même temps.

L'heure des présentations arrive finalement. Le jeune homme s'appelle donc Nathan. Un prénom qu'elle apprécie. Intérieurement, elle espère qu'elle pourra apprécier le jeune homme autant que son prénom. Elle n'a pas encore d'amis ici, et se demande même s'il est possible d'en avoir dans ce contexte. Mais elle n'attend que ça. Faire connaissance, se créer des 'alliés'. Elle offre un franc sourire au photographe lorsqu'il avoue être enchanté.

Se penchant légèrement au dessus de l'appareil, elle observe le cliché. Elle imaginait une photo à moitié ratée, puisqu'elle était en mouvement et qu'elle ne regardait même pas l'objectif. Elle ne sait même pas s'il est possible de réussir une photo avec un modèle qui n'est pas immobile et qui se laisse simplement surprendre. Elle hausse les sourcils, surprise par le cliché. Elle n'y connait rien mais ça à l'air joli. On distingue à peine que c'est elle sur la photo...Et même si on ne voit pas son visage en entier, elle trouve que la photo dégage une certaine tristesse.

« C'est joli. »

Admet-elle, même si ça ressemble à un compliment, sa remarque à également un air de question, parce qu'elle ne sait pas si, de son point de vue de photographe, Nathan trouve également son cliché réussit.

« Tu te balade toujours avec ton appareil ? »

Nathan n'y connaît pas grand-chose non plus en art, à vrai dire. Tout jeune, ses parents lui ont offert un appareil photo argentique. Ses premiers clichés n'étaient pas ses meilleurs, mais il se débrouillait plutôt bien. Il n'était ni excellent ni mauvais. Juste bien. Juste un gamin qui commence la photo tout seul, en autodidacte. Son temps libre, il le passait partout et nul part, ses premiers modèles, c'était ses parents, ses amis, puis pour finir, les paysages.

Petit à petit, il s'est mis à capturer l'image des gens dans la rues, dans les cafés, partout. Plus le temps passait, plus il s'améliorait. Il s'amusait à jouer avec les ombres, les nuances, les mouvements. Un rien.
Avant, il avait toute sorte d'appareils photos. Mais depuis son départ, il y a trois ans, il n'a plus rien. Seulement l'appareil qu'il avait emmené chez ses grands-parents, à Paris, avant de tout plaquer.

Il n'avait pas repris la photo depuis son retour à San Francisco. Jusqu'à ce qu'il aperçoive Thea et qu'il la photographie.

Quand ils regardent le cliché, Nathan a un petit sourire mélancolique, un peu comme celui de la jeune femme qu'il trouve très jolie.Triste, mais jolie. C'est sans doute qui donne un coté spécial à cette photo.

« Une de mes plus belle photo... »

Confie Nathan, un léger sourire gêné au coin des lèvres.. Il ne pouvait pas lui dire qu'elle n'était pas la plus belle, ni la moins belle, mais s'il devait la classer, elle serait sans doute dans le top 10! Elle représente pour lui un nouveau départ. Le début de quelque chose de nouveau, d'une nouvelle vie.

« Je l'ai toujours sur moi, soit autour de mon poignet, soit dans mon sac. Il y a trop d'occasions de faire de belles photos, je ne veux pas en perdre une seule... »

Thea n'est pas quelqu'un de narcissique. Avant déjà, elle ne passait pas son temps devant le miroir à s'observer pendant des heures et se murmurer ô combien ce qu'elle voyait lui plaisait. Même dans le cadre de son boulot où l'apparence était quand même le point culminant, elle passait tout juste le temps qu'il fallait devant le miroir pour se maquiller ou s'assurer que son costume était bien enfilé. Même si elle savait qu'il ne resterait sur elle que quelques minutes, il fallait qu'il soit bien mis. Le costume faisait partie du spectacle. Alors même s'il finissait par terre à chaque fin de numéro, c'était quand même le fil conducteur. Alors elle s'aidait de son ami de glace pour s'assurer que tous les détails étaient parfaits, mais c'est tout. Depuis qu'elle s'est retrouvée à la rue, Thea ne s'est pas tellement observée. Elle n'a plus que des vêtements usés et elle n'a pas touché à du maquillage depuis des mois, pas qu'elle en ait réellement besoin, mais pour dire. Se retrouver dans l'appareil photo de Nathan la surprend. Elle a l'impression de se redécouvrir, comme si elle avait oublié à quoi ressemblait son reflet. Elle se fait d'ailleurs un constat : elle a l'air affreusement triste sur ce cliché. Un fin sourire, flatté, s'accorde à ses joues rosies lorsqu'il lui assure qu'il s'agit d'une de ses plus belles photos. S'ils n'étaient pas dans un centre pour sans-abris, elle aurait pu croire que c'était un coup de drague...

« Contente de pouvoir y contribuer alors...»

Murmure-t-elle simplement, souriante. Sa curiosité la pousse à lui demande s'il est toujours greffé à son appareil photo, en fait ça l'intrigue. Elle se demande ce qu'il peut trouver, ici, d'intéressant à photographier. Ils ne sont pas dans le plus joli ou joyeux environnement qui soit...

« Je vois...Et, tu prends quoi en photo, en général ? A part les filles au détour d'un couloir...^^ »