La vie au Centre était relax. Et puis dormir dans un vrai bon lit toutes les nuits, ça n'avait pas de prix. Cela faisait bien un mois qu'il était là, mais c'était toujours aussi plaisant. Par contre, il y avait un truc avec lequel Logan avait encore du mal, c'était son avenir. C'était comme si une intense brume, à couper au couteau, s'amusait à bloquer les pistes. Il n'avait jamais eu à réfléchir pour son avenir. Il prenait toujours les choses comme elles venaient.

Maintenant, il devait y penser. Et le conseiller d'orientation était là pour l'aider. Normalement. Le premier rendez-vous avait commencé laborieusement et au final, le gars s'était révélé avoir un peu le même genre de caractère que l'ancien dealer, ce qui avait bizarrement facilité les choses. Et puis, lorsque quelqu'un fait de la prison, il en garde toujours une trace au fond du regard. Et cette petite lueur se retrouvait chez nos deux bonhommes. Ce qui avait contribué au fait que James avait coopéré lors de ce premier entretien.

Et pour ce deuxième, ils vont passer aux choses sérieuses. Pas facile donc. Déjà, Logan a dû réfléchir sérieusement à ce qu'il voudrait faire, quel métier, dans quel domaine. Autant dire qu'il n'avait pas vraiment d'idées, la seule chose qu'il aimait, c'était dessiner. Et par extension, les films et les bouquins l'attiraient pas mal, puisque ça lui servait parfois pour requinquer son inspiration. Mais ça restait toujours vague.

En refaisant le point sur ses réflexions, alors qu'il montait jusqu'au quatrième étage, James poussa un soupir. Réfléchir n'avait jamais était son fort, alors quand c'était pour son avenir, c'est encore une autre paire de manches. Arrivé devant le bureau d'Aidan, il toqua à la porte. N'attendant même pas un quelconque assentiment pour entrer, il ouvrit la porte.

— Salut, j'suis pas en r'tard ? lança-t-il en refermant la porte derrière lui.

Disons que lui et les horaires, c'est pas toujours ça.

Logan avait quand même une sorte d'admiration pour les conseillers d'orientation du Centre, ou au moins un genre de respect. Avoir la patience et le courage d'aider tous ces gens, c'était tout de même remarquable. Bon, ça n'était pas pour ça que l'ancien détenu leur facilitait la tâche. Chasser le naturel et il revient au galop. Mais tout de même, Aidan avait tout de même eu le cran de prendre en charge James, malgré son dossier, et son passé. Et son caractère. Cependant, le courant été bien passé.

Entrant sans attendre, l'ex-dealer salua le conseiller, avant de s'installer. Il l'entendit affirmer qu'il n'est pas si en retard que ça, et cela le rassura un peu. Pas qu'il en aurait été gêné d'une quelconque façon, mais commencer un entretien par une atmosphère tendue, ça n'est jamais bon. Naturellement, Aidan lui demanda comment ça allait, et s'il avait eu le temps de réfléchir à ce qu'ils s'étaient dit la dernière fois. Logan acquiesça simplement, repensant par là même à Alex et au fait que s'il pouvait dire que tout allait bien, c'est grâce à lui.

— Ouais ouais, tout baigne, sourit-il doucement, avant de se passer une main dans les cheveux. Et j'y ai repensé, mais c'est encore très vague.

Il ne pût s'empêcher de pousser un soupir, en se calant contre le dossier de son siège. Définir un projet professionnel l'avait déjà interpelé dès le début, dès qu'il en avait entendu parler en fait. Et se retrouver justement face à son avenir, ça le faisait quand même flipper. Après tout, il n'avait jamais vraiment été intégré à la société, alors il était pas mal perdu. Néanmoins, il y avait bien un truc qui le tenterait...

— Mais t'sais bien que j'adore dessiner, donc c'qui tourne autour de ça m'attire pas mal. Pis y'a les bouquins et les films aussi... Tss, c'toujours aussi vague, soupira-t-il une nouvelle fois, il releva cependant la tête, captant le regard de son interlocuteur. Et pas la peine d'avoir un truc trop prise de tête ou du même genre hein, c'pas c'que j'recherche.

Il n'avait pas non plus besoin d'un job qui rapporte beaucoup ; il n'a jamais été à l'aise avec l’opulence, et puis, avec son enfance, il sait se démerder avec très peu de choses. Donc un petit truc tranquille, ça lui ira parfaitement. C'est ça ouais, il n'a pas envie de trop se prendre la tête jusqu'à la retraite. Mais il n'a pas non plus envie de repasser par la case "rue", ou pire, "prison". Il est tout juste revenu à la case départ, c'est pas pour rien.

Les résidents avaient plutôt le choix quand aux personnes qui les suivaient, conseillers d'orientation et thérapeutes en somme. Ce qui était une chance. Au départ, James avait appréhendé la chose. En effet, si quelqu'un ne lui revenait pas, il pouvait très désagréable. Heureusement, il s'était directement entendu avec Aidan, bien qu'il soit allé au premier entretion limite à reculons. Ou de moins, il ne lui avait pas parut antipathique. Et puis, il y avait quelque chose en ce gars-là qui disait qu'il se donnait toujours à fond, peut importe la personne en face de lui, il ne baclait pas son travail. Ça avait un côté rassurant.

Sortir de prison comme dans son cas doit être pire que de simplement échapper à la rue. Lorsqu'on vit avec le ciel pour toiture, il y a toujours quelque chose pour sourire. Alors qu'en taule, on vous brise purement et simplement. Logan avait bien vu un jeune finir timbré. Mais soit, Aidan ne l'interrompit pas, et attendit qu'il ai fini pour poser ses questions. A la première, Logan haussa un sourcil. A la deuxième, il secoua doucement la tête de droite à gauche. Et à la dernière, il observa simplement le conseiller en réfléchissant.

— Critique nan, oublie tout de suite. Par contre vendeur, j'sais pas trop, j'ai pas vraiment l'sens du contact.

Bon il disait ça, mais dealer, c'est justement vendre de la drogue. Sauf que là, pas besoin d'être sympa, faut juste se faire respecter. Et pour ça, James n'avait pas eu trop de mal. Mais sinon, bosser dans une boutique, pourquoi pas. Un vidéo-club, ça lui irait sans doute mieux. Pis c'est sympa comme boulot, pas trop prise de tête quoi.

— Mais ouais, en fin d'compte, conclu-t-il plus pour lui-même qu'autre chose.

Les gens étaient toujours méfiants vis-à-vis de James dès qu'ils apprenaient ses années de taule. Déjà qu'à la base, il n'avait pas vraiment la tête du type à qui on va confier sa vie après trois paroles échangées. Il est donc facile, et même vrai, de penser que les employeurs sont naturellement moins enclins a fournir un poste à quelqu'un qui a déjà fait de la prison. Ce n'était donc pas une partie de plaisir qui s'annonçait pour Logan que de trouver un emploi, et par extension, se réintégrer dans la société.

Et puis, lui-même n'avait pas l'impression de le mériter plus qu'un autre. Il était là car on le lui avait proposé, en échange d'un raccourcissement de sa peine de quelques mois. Il avait accepté et avait été admis au Centre comme n'importe quel SDF qui aurait tenté sa chance : après un entretien. Mais pour ce "programme", ils auraient très bien pu choisir un petit jeune. En tout cas, il était le premier a bénéficier de ça, et peut-être qu'il est un sujet expérimental pour voir si les méthodes du Centre marchent avec les personnes qui sortent de prison. Bref, ça ne changeait rien au fait qu'il veuille vraiment sortir de "tout ça".

Comme à son habitude, Logan fit preuve de franchise. Pour avoir quelque chose qui nous plaît, il ne faut pas fermer sa gueule et attendre. Et se taire n'a jamais fait bouger les choses, alors plus que jamais, il faut pour une fois dire ce que l'on aimerait faire. Travail vient de "torture", mais ça n'est pas une raison pour ne pas essayer de rendre cette tâche agréable en faisant quelque chose qui nous plaît. James parla donc de dessins, de livres, de films aussi, un peu, et Aidan avança quelques pistes. Et après que le conseiller ait dit en substance qu'il ne fallait pas choisir une solution de facilité qui ne plaît pas, le canadien rigola doucement.

— Ah mais non ! Crois pas que j'veux me contenter d'un petit truc parce que j'ai la flemme de chercher aut'chose hein ! Il haussa les épaules avant de reprendre. C'est juste que moi j'suis allergique aux trucs trop prise de tête. Mais si j'trouve un truc qui m'plaît à fond, j'vais pas m'décourager avant.

Le jeune homme avait fini par parler de dessin. Ok, c'était bien marrant tout ça, et c'est vrai que Logan était du genre doué, mais il n'avait aucune idée de quoi faire dans ce secteur-là. C'est vaste le secteur artistique, et peu sont ceux qui pratiquent vraiment. Et pas la peine de lui proposer d'être professeur d'art dans un lycée ou un truc comme ça, les pauvres gamins ne s'en remettraient pas. Après un instant de réflexion, le canadien reprit la parole.

— Ouais j'suis doué en dessin, mais j'vois pas trop c'que j'pourrais faire dans ce domaine-là. Ça peut englober pas mal de choses quand même.

Rechercher et trouver un emploi n'allait pas être une partie de plaisir pour Logan, mais au moins il n'était pas seul pour ça et savait que le conseiller serait là jusqu'au bout. Et le Centre faisait vraiment son maximum pour aider chaque résident, peut importe d'où il venait, c'était déjà un énorme plus de savoir que l'on était pas seul là-dedans. C'était plus facile pour certains, pour d'autres non, le temps de réinsertion était variable. Pour James, il s'agirait pas de se décourager. C'est pour cela qu'il commença par être franc, pas besoin de faire traîner les choses. Et Aidan eut l'air d'apprécier, cela prouvait au moins que l'ancien dealer faisait un effort et y mettait du sien.

Le jeune homme eut un léger sourire, avant d'acquiescer. Oui, le domaine artistique était bien vaste. Cela pouvait englober les boulots de la communication, comme bosser dans la pub,ou être dessinateur, tatoueur aussi. Mais le risque à chercher un boulot artistique, c'est le peu de débouchés qui en résultait. Et Aidan avait raison, vu le profil de Logan, mieux valait se concentrer sur une filière qui embauchait pour avoir plus de chance de repartir avec un emploi. Parce qu'au final, c'était ce qui importait. L'ex-détenu hocha la tête, réfléchissant sur les mots d'Aidan, pour en arriver à la conclusion qu'il était tout à fait d'accord avec lui.

— Ouais, ça m'paraît logique, lâcha-t-il, avant de soupirer brièvement en croisant les bras. Mais ça nous avance pas des masses. Tu proposes quoi au final ?

Personnellement, Logan ne voyait pas encore où ça pouvait les mener. Il était encore perdu, et n'avait aucune idée de qui, que, quoi, comment, et où. Vendeur dans un vidéo-club, ça pourrait être pas mal. Il se souvint aussi avoir été barman à Salem, y'a une dizaine d'années. C'était le seul boulot qui l'avait bien amusé d'ailleurs, mais une bonne embrouille l'avait fait renvoyer, alors qu'en plus il n'y était pour rien. Bref, il était jeune à l'époque. James lâcha un nouveau soupir, se passant une main dans les cheveux.

— Bon, bah j'crois qu'ça va vraiment pas être du gâteau.

Logan était d'ordinaire pessimiste, blasé et désabusé par tout ce qu'il avait connu. Il y a encore quelques semaines, il n'arrivait pas à s'imaginer un avenir. Alors qu'aujourd'hui, il réapprenait à envisager un après. Et aussi à déterminer ce qu'il voulait vraiment faire, chose à laquelle il n'avait jamais sérieusement songer. Et chose que maintenant il se devait de savoir avec plus ou moins de précision s'il voulait réussir à s'intégrer dans la société. Là, James ne se faisait pas d'illusion quant aux difficultés qui s'annonçaient mais ne partait pas non plus perdant pour autant.

Aidan était aussi là pour l'aider, donc l'ancien dealer n'était pas tout seul. Le jeune homme proposa d'ailleurs de lui trouver un espèce de stage, pour quelques jours, histoire de savoir si un boulot comme vendeur dans un vidéoclub — ou un autre magasin du même genre — ne le saoulerait pas trop vite au final. Ce qui après réflexion, était plutôt une bonne idée. Ainsi, Logan pourrait voir ce que ça donnait et si ça lui irait.

— Ouais, bonne idée, acquiesça-t-il.

Le conseiller d'orientation avait l'air de savoir ce qu'il faisait, ce qui était carrément rassurant. En même temps, il avait du en voir passer des sans-abris à qui il avait du trouver des solutions pour les réintégrer. Le boulot qu'il faisait lui ne devait pas être du genre facile, et sans ce petit quelque chose qui faisait qu'Aidan avait envie d'aider les autres, il aurait jeté l'éponge depuis longtemps. Bref, avec un sourire amical, il rassura le résident en lui disant que ça irait bien et qu'il n'avait pas à s'en faire. Logan garda une moue dubitative encore quelques instants, avant de hausser les épaules.

— S'tu l'dis, répondit-il sans plus de cérémonie avant de marquer une pause. Puis, avec son tact à toute épreuve, il posa une question qui venait de lui traverser l'esprit. J'suis sûr qu't'as fait d'la taule avant, alors comment t'as fait pour être conseiller ? C'quoi qui t'as donné envie ?

Il passait peut-être du coq à l'âne, mais pour lui, le sujet précédent était bouclé : un stage en premier lieu, puis ajustement de son choix pour la suite, si nécessaire. Et puis, ses questions étaient légitimes. Il n'avait pu les retenir, étant donné que ce n'était pas dans ses habitudes. C'était un bel exemple de reconversion, d'autant qu'Aidan ne devait pas atteindre la trentaine. Enfin, c'était quelque peu rassurant de savoir que des gens qui n'ont plus rien peuvent au final retrouver une place.

Aidan précisa qu'il le tiendrait au courant pour le stage, et qu'il essayerait de faire ça rapidement. James hocha la tête. Voilà qui était parfait. C'était une bonne chose de fait, un pas de plus vers la réinsertion professionnelle et sociale. Et en parlant de réinsertion, Logan interrogea le conseiller sur les raisons qui l'avaient poussé à faire ce métier. Le jeune eu l'air un peu prit de court, mais se reprit vite en répondant. Lorsqu'il avait eu la motivation pour se reprendre en main, il avait décidé d'aider les autres qui avaient été dans le même cas de lui. Il avait d'abord appris l'existence du Centre avant de choisir vraiment d'être conseiller d'orientation pour pouvoir y bosser.

Logan l'écouta en silence. Dans le cas d'Aidan aussi, le Centre avait été plus que bénéfique. Il l'avait aidé à revenir au monde. Comme quoi, ce Centre ne s'occupe pas que des résidents, il permet aussi, parfois, d'aider d'autres personnes ayant connu ça à reprendre espoir. Et James se senti du même coup rassuré. Il n'était pas le seul à connaître ça, la taule puis le vide qui suit quand on déjà rien avant. Mais si Aidan a pu remonter la pente, alors le canadien aussi. Il n'était pas encore au fond du gouffre non ? Alors rien n'était courut d'avance. Puis se fut au jeune homme de demander pourquoi Logan était si sûr qu'il avait fait de la prison. Là, le résident sourit en coin.

— Parce que ça s'voit ! Enfin, moi j'le vois, c'qui est p't'être pas l'cas d'tout l'monde rassure-toi, lâche-t-il simplement, en rigolant un peu.

Aidan avait en effet eu l'air étonné de sa déclaration un peu plus tôt. C'est vrai qu'il n'avait pas l'air d'avoir fait de la prison. Mais sachant que Logan était dessinateur, il avait la fâcheuse manie de tout observer, tout le temps. Il ne faisait cependant attention qu'aux détails importants lorsqu'un dessin n'était pas en jeu. Et quatre ans derrière les barreaux l'avait habitué à côtoyer toutes sortes de détenus, il savait donc reconnaître un ancien prisonnier quand il en voyait hein. C'est à peu près comme chaque expérience de la vie qui marque l'âme, ça ne part jamais vraiment. Bref, James était un peu une exception, ça n'était parce que lui comprenait qu'un individu avait fait de la prison que c'était parfaitement lisible par n'importe qui. D'ailleurs, l'ancien dealer se dit que si Aidan ne disait rien à ses collègues, ceux-ci ne sauraient pas qu'il était derrière les barreaux.

— C'pas non plus marqué sur ton visage hein, c'juste que n'importe qui qui fait d'la prison, il a un petit truc en plus. Bon après ça s'voit plus ou moins selon les personnes, chez toi c'est discret par exemple, haussa-t-il les épaules en guise de précision.

Il avait déjà remarquer ça lors de leur premier rendez-vous, et il faut dire que plus il le voyait, plus il en était convaincu. Et Aidan avait justement sous-entendu que Logan avait raison. Ouais, les points communs c'est bien.

Il y a une chose plutôt bizarre avec la prison. On y est pour purger une peine, pour payer les conséquences de ses actes, mais même quand on ressort, lorsque les gens apprennent ça, c'est comme s'ils partaient du principe qu'on pourrait refaire des conneries à tout moment. Ils ne laissent pas de nouvelle chance la plupart du temps. Alors évidemment, on se tait sur son passé. C'était ce que Logan faisait, comme Aidan d'ailleurs, ils ne racontaient pas ce qu'ils avaient vécu. Mais cela ne les empêchait de remarquer leurs collègues de galère. La prison, ça n'est pas anodin.

Mais revenons aux choses sérieuses. Après un instant, le conseiller reprit la parole, mettant un terme à l'entretien qui touchait de toute façon à sa fin. Aidan l'avait bien aidé. Ce rendez-vous avait servi à quelque chose. Logan n'avait plus qu'à attendre au final, il était même rassuré quant à son avenir. Ils avaient trouvé une piste, c'était un bon début. James secoua doucement la tête.

— Non c'est bon, j'ai pas d'questions, dit-il en se levant, avant de sourire en coin. Et bien, merci, lâcha-t-il avant de se détourner. On s'revoit bientôt j'imagine, à plus.

Il jeta un dernier coup d'oeil à Aidan, un léger sourire de remerciement au coin des lèvres. Ça servait ces conseillers d'orientation finalement. Le système était bien rodé. Le directeur avait tout prévu. Enfin des gens qui n'en avaient pas rien à faire de ceux qui n'avaient plus d'avenir. Logan sortit finalement du bureau, le coeur plus léger qu'en y entrant.

[Fin de la scène.]