En arrivant à San Francisco, ce que Micah a le plus apprécié, c’était que ce n’était pas le désert. Les rues en pentes, l’effervescence en ville, la pluralité des individus. Elle n’en a pas beaucoup profité à vrai dire puisqu’elle devait cumuler deux jobs pour se payer ses cours du soir. Et puis une fois à la rue, on peut dire qu’elle avait d’autres centres d’intérêts, comme survivre par exemple.

En sortant cet après-midi, Micah a choisi au hasard un livre mis à disposition aux résidents dans l’étagère du salon du 2ème étage où elle réside. Elle s’était dit qu’elle pourrait aller faire un tour, profiter qu’elle n’avait pas de rendez-vous thérapeutique ou avec un conseiller pour essayer de prendre du temps pour elle. C’est une notion plutôt floue pour la jeune femme, habituée à toujours s’épuiser pour vivre et garder la tête hors de l’eau. En fait, elle a peur de trouver de la peur et du vide en faisant cela, mais il faut bien qu’elle essaye pour être fixée.

Micah sort du centre et se met en marche un long moment, cherchant à analyser tous les regards, tous les dangers, comme si elle devait encore se méfier des autres. Elle tient son livre à la main quand elle tourne finalement au coin d’une rue pour pénétrer dans un parc. Repérant une place libre sur un banc, elle décide innocemment de s’y installer. Elle ouvre son livre ne prêtant guère attention à ce qui se trouve autour d’elle, d’un geste sec et étrange, comme pour se protéger. Elle ne lit pas vraiment, en réalité, elle cherche à arrêter de réfléchir pour enfin réussir à se concentrer, mais elle n’a pas l’impression d’être à sa place installée ainsi comme une citoyenne lambda. Ses longs cheveux bruns enfin lavés et brossés comme le devant, son corps couvert avec des vêtements corrects, à peu près à sa taille et surtout adaptés la douceur du climat. Elle se rappelle tout ça intérieurement et peu enfin commencer la lecture, le regard dans le papier et un léger sourire au coin de la bouche, le cœur un peu plus léger.

Maintenant qu’elle a réussit à se plonger dans son livre, Micah se sent moins étrangère au monde autour. Ce sourire qui se dessine sur ses lèvres, c’est un sourire de soulagement, elle réalise que tout n’est pas perdu, qu’elle a peut être finit de payer ce qu’elle a fait vivre à sa communauté. Parce que jusque là, la culpabilité ne l’avait pas quittée. Ignorant tout de son passé, personne n’avait jamais pu lui dire que ce n’était pas de sa faute, qu’elle avait bien fait et que c’était à cette communauté d’assumer les conséquences de ses actes.

Elle tourne la page au moment où l’homme assit à côté d’elle lui adresse la parole. Même si Micah se montre avenante au centre avec le personnel comme avec les résidents, dans la rue, elle est encore sur la défensive. Elle a l’impression de ne pas s’être défaite de cette peau de vagabonde. Elle relève le visage le regard interrogé avant d’écouter ce que ce garçon a à dire. Elle ne le connait pas et c’est un homme, double danger. Après qu’il a dit ce qu’il devait, elle penche la tête sur le côté et fronce légèrement les yeux, est-ce qu’il est en train de la draguer ? Sans doute, tous les hommes avec qui elle a parlé dans la rue ne voulaient que ça et ça ne l’intéresse pas, non, jamais.

« Génial. » dit-elle un peu sèche avant de replonger le nez dans le livre. La plupart du temps, un simple mot prononcé sèchement pour insinuer non suffit. Il va sans doute partir.

Wayne était bien tranquille sur son banc, enfin aussi tranquille que ne peut l’être une personne perturbée, lorsque quelqu’un s’immisça dans son espace vital. Il a été enfermé pendant tellement longtemps qu’il avait à présent envie de n’avoir la vue bouchée d’aucun côté, d’avoir l’illusion qu’il est libre et que l’infini lui appartient. Sauf que ça n’est pas une illusion, puisqu’il n’a rien d’autre que cet infini. Il se retrouve à la rue, lui qui avait toujours été si ingrat avec le fric de ses parents, qui dépensait sans compter et qui chopait les nanas des autres mecs, parce qu’il avait la plus grosse… caisse.

Quoi qu’il en soit, plutôt que de râler sur la personne qui était venue troubler sa médiation, il avait décidé d’être un minimum agréable. Parce que oui, selon lui, dragouiller une femme c’était se montrer agréable. Après tout, ça voulait dire qu’elle était un minimum baisable, bref, c’est bel et bien un compliment. Sauf que visiblement, il avait non seulement affaire à une intello, mais en plus elle était vraiment pas sympa. Cool, maintenant il n’aurait absolument plus aucun remord à y aller franco pour la faire déguerpir au plus vite cette connasse (a).

« Vous inquiétez pas hein, je ne compte pas vous raconter la fin, c’est juste que je trouvais la coïncidence tellement grande que… »

Il fit mine d’hésiter un instant. Il hésita même sérieusement parce qu’il craignait de se faire trahir par un sourire moqueur, puis finalement, il se lança.

« Que ça ne peut être que le destin qui vous a placée à côté de moi aujourd'hui. »

Se faire passer pour un dragueur lourd, il trouve ça assez sympa, parce que les femmes sont basiques. Elles classent les gens dans des catégories. Et étrangement, les dragueurs lourds sont dans la catégorie des chiants… mais pas dangereux. Du coup, ça l’intéresserait assez de se faire passer pour plus con que ce qu’il n’est, pour pouvoir déstabiliser son interlocutrice par la suite.

Franchement, Micah n’est pas une mauvaise personne, en tout cas elle fait tout pour ne pas l’être, mais ces dernières années à survivre au jour le jour contre tous les dangers qui pouvaient surgir la nuit tombée à San Fransisco et en fait tout ce temps passé à essayé de s’en sortir, tout ça l’a profondément marqué. Depuis, elle est devenue une personne extrêmement complexe. Désireuse d’aller vers les autres, elle sait aussi quel peut être le risque et a bien trop peur de tout.

Elle s’est assise sur un banc dans le parc, savourant pour la première fois sa propre existence et voilà que le gars à côté d’elle commence à la draguer. Elle n’est pas encore sûre de ses intentions alors elle se contente de rester froide et distante se disant qu’ainsi il abandonnerait son essai. Des mecs comme ça, elle en avait croisé tout un tas. Ceux qui voulaient profiter de sa position de faiblesse, ceux qui considéraient que dans le même bateau on peut bien se rendre service, ceux qui pensaient aider en offrant un peu d’argent en échange. Tout ça la dégoutait, elle n’était peut être pas dans la même dimension que les autres jeunes femmes de son âge, mais Micah avait toujours fuit les moindre rapprochements avec la gente masculine, qu’ils semblent honnêtes ou qu’ils puissent lui rapporter de l’argent.

Elle n’en est pas là avec son inconnu, mais ses grands airs de ne pas y toucher ne la rassurent pas. Le fait d’être dehors n’aide en rien. En fait, depuis qu’elle est au centre Adam Hawkes, tout semble évoluer chez Micah, sauf lorsqu’elle s’aventure seule en ville. Elle redevient un peu sauvage, elle devrait sans doute travailler sur ça avec sa thérapeute tiens…

Le type reprends son baratin, Micah n’imagine pas un instant qu’il essaye en réalité de la faire fuir, il est vraie que ça pourrait être une solution, mais de son côté, elle continue de croire qu’en faisant le poisson mort c’est lui qui quittera le banc. Lorsqu’il parle de destin, Micah relève le regard et ne peut retenir un léger ricanement. Pitié ….

« Oh oui, c’est sans doute ça ou le fait que ce soit la dernière place libre du parc. » répond elle moins sèche mais tout à fait sincère.

Allez, ça va durer quoi, cinq minutes et il finira par comprendre qu’il n’a pas la moindre chance.

Tout le monde a ses problèmes, et Micah n’est pas vraiment sensée connaitre ceux du gars juste à côté d’elle. A le voir comme ça, il n’a pas vraiment la fraicheur d’un jeune cadre dynamique, mais elle ne lui imagine pas non plus un passé tout droit sortit d’un roman sur les tueurs en série. En fait, elle ne se posait même pas la question. Pas du genre à juger quelqu’un sur les apparences pour un sou, Micah n’a juste pas envie qu’il soit aussi lourd avec elle. A force d’être froide, elle se dit qu’il finira par abandonner ou par partir.

Il lui parle de destin et Micah se laisse aller à une moquerie. Le destin c’est un peu ridicule comme argument non ? Il insiste et elle relève à nouveau le visage, un air plutôt dubitatif sur celui-ci. Le destin, elle n’y croit pas, en Dieu puis, mais pas en un livre écrit qui ferait que quoi qu’il arrive, les choses étaient ainsi. En fait, elle serait plutôt du genre à croire au Karma, tout se paye et parfois on paye d’avance, alors vu ce qu’elle a vécu, Micah se demande ce qu’elle va faire de si terrible dans le futur parce qu’elle a vraiment l’impression d’avoir assez payé ce qu’elle avait fait à sa famille.

Micah le laisse parler puis décide de reprendre sa lecture en silence sans vraiment réussir à se concentrer. Il l’invite à boire un café. Hum, hum, donc il prend ses rêves pour des réalités. Sans bouger son regard, Micah réponds.

« Je ne crois pas non. »

Elle reste immobile, il va bien comprendre non. Au pire, s’il a du mal à accepter le refus, elle saura le lui faire entrer dans le crâne.

Finalement, au fur et à mesure de la discussion et du fait qu’il se rende compte qu’il agace la brune, ce jeu de séduction dont il n’a strictement rien à faire commence à amuser Wayne. En effet, aussi immature qu’il ne l’est, faire chier les autres ça le distrait et ça lui plait assez. Il a un côté sale gamin de merde, parfois. Ok, souvent. Bref. Du coup, il se prend au jeu et se laisse aller à dire connerie sur connerie. Parfois il s’épate lui-même ne s’imaginant pas aussi créatif dans la lourdeur. Lorsqu’il tente réellement de séduire quelqu’un, il le fait bien plus en finesse que cet après-midi.

C’est pour ça qu’il se met à parler de destin et blablabla. Wayne veille d’ailleurs à ne pas se marrer des conneries qu’il lâche, pour ne pas qu’elle comprenne qu’il se fout simplement de sa gueule (a). Il termina ses âneries en lui proposant d’aller boire un café. Si elle avait accepté, il se serait arrangé pour s’en débarrasser ou lui mettre le vent du siècle, mais il n’eut pas l’occasion de lâcher une réplique sanglante, puisque cette idiote répondit négativement à sa proposition. Euh, sérieusement ? Elle l’a bien regardé ? Ok, il n’a plus l’allure aussi fraiche qu’il y a cinq ans de cela, mais avec un bon bain, une séance de rasage et du parfum hors de prix, elle lui tomberait dans les bras en moins de deux !

« Dommage, je suis sur qu’on aurait eu des tas de choses à se dire. »

Il haussa finalement les épaules et arrêta de la regarder, fixant plutôt un point devant lui. Juste pour lui donner l’illusion l’espace d’une grosse minute qu’elle avait réussi à le faire taire. Sauf que, ça n’est vraiment pas le cas ! Au contraire, voila qu’il se remet à la charge de plus belle.

« En même temps, je comprends que vous préfériez rester ici pour discuter. C’est tellement plus romantique en pleine nature. »

Bon, si avec ça elle ne dégage pas, il va devoir lui sauter dessus… Quoi qu’elle finirait par aimer, la coquine. Si ça se trouve, elle n’attend que ça.

« Dites-moi tout sur vous ! »

Rien n’amuse vraiment Micah dans ce qui est en train de se passer, ou peut être les excuses ridicules que peut trouver ce dragueur du dimanche pour arriver à ses fins. Non, vraiment, elle ne risque pas de se laisser faire avec de beaux mots sur destin et compagnie. Un instant, Micah se demande si ce type ne se moquerait pas un peu d’elle, mais son expérience en la manière lui laisse croire qu’il est sans doute très sincère dans ce qu’il dit. C’est pathétique !

Le truc que ne sait pas ce gars, c’est que Micah n’est vraiment pas intéressée par les hommes, ni par quoi que ce soit qui touche à la vie de couple en réalité. Elle est bien loin de ses préoccupations et elle n’a jamais vraiment eu le temps de se soucier de ses propres sentiments.

Boire un café ? Et puis quoi encore ? Micah refuse, comme si elle allait se laisser prendre à son jeu. Puis elle replonge la tête dans son bouquin. Il commence légèrement à l’exaspérer mais à aucun moment elle n’imagine quitter cette place. Elle n’y songe même pas, à mille lieues de penser que c’est en réalité ce qu’il cherche.

Il insiste, discrètement, Micah fait rouler ses yeux au ciel et pousse un long soupir. Elle ferme son livre dans un claquement étouffé. Le silence revient et une lueur d’espoir fait son entrée dans la petite tête de Micah. Enfin, il abandonne ? Et non, voilà qu’il se remet à parler, il est un peu stupide de ne pas comprendre, non ? S’armant d’un grand sourire un peu ironique, Micah finit enfin par tourner son regard vers l’homme qui l’importune depuis tout à l’heure et le laisse déverser son flot de paroles inutiles.

« Bon, je vais essayer d’être un peu plus claire. Je ne suis pas intéressée, le café, le blabla, le destin, vraiment, non merci. J’imagine qu’on vous a toujours dit de persévérer pour réaliser vos rêves, mais là, ça restera un rêve. Alors franchement, laissez-moi tranquille et allez vous entrainez sur les écureuils du parc. »

Sur ce, elle reprend son livre, l’ouvre à la page quittée et tente de retrouver sa ligne. Clairement, s’il insiste, elle le tape. Et dire qu’elle s’imaginait passer un bon moment avec un bon bouquin au parc, un moment de liberté, non, il vient tout gâcher avec sa leçon de séduction discount. D'ailleurs, un dicton veut que ce soit les plus gênés qui partent en premier et bien là, s'en était assez. Micah décide de prendre son livre sous le bras, d'adresser un dernier regard tueur au lourdingue et de décamper.

[Fin de la scène]