Cela faisait peu de temps que James était arrivé au Centre. Si peu de temps qu'il n'avait même pas pu s'acheter des clopes, occupé avec quelques formalités, son installation — même s'il n'avait pas grand-chose lui appartenant — et d'autres trucs du genre. C'est donc avec quelques dollars en poche qu'il sortit dans la rue ce jour-là. Il ne devait même pas être 13h, mais, bizarrement, Logan n'avait pas faim. Au pire, il irait bouffer plus tard, si l'envie lui en prenait. Une pomme, ouais, ça lui suffirait pour le moment. Il irait en chercher une plus tard, quand il reviendrait.

C'est sur ces pensées qu'il franchit la porte d'entrée. Là, il croisa un homme, la clope au bec. Celui-ci le salua d'un signe de tête, auquel l'ancien dealer rendit la pareille. Puis l'homme sortit un paquet de cigarettes de sa poche et l'ouvrit devant Logan.

— Cigarette ? demanda-t-il d'une voix grave.

Le canadien se prit tout de même un instant de réflexion, évaluant l'inconnu du regard. Il avait pris l'habitude depuis bien longtemps de se méfier d'à peu près tout et n'importe quoi. C'était peut-être un peu abusif, mais quand on vit dans la rue puis qu'on passe quelques années en taule, c'est la seule façon de sauver sa peau. Bref, finalement, James accepta la cigarette gratuite.

— Merci, lâcha-t-il en prenant la cigarette.

Alors qu'il la cala entre ses lèvres, il plongea la main dans une poche de son jean. Cependant, il n'y trouva pas ce qu'il recherchait. Il explora ses autres poches mais rien à faire, son briquet était introuvable. Soupirant, il se rappela avoir oublié de le prendre après s'être habillé. Il tourna les yeux vers l'homme qui lui avait gentiment proposé du tabac.

— Tu peux m'passer ton feu ? interrogea-t-il, quand bien même cela ne sonnait pas comme une question dans sa bouche.

Au moment où Logan lui demanda son feu, l'homme le lui tendait déjà. Il le remercia du regard puis alluma sa clope et rendit le briquet à son propriétaire. Il inspira une latte et se détendit aussitôt. Un silence s'était installé entre les deux hommes, mais il n'était pas lourd, ou pesant. Mais ça n'empêcha pas l'inconnu de demander à James s'il venait du Centre.

L'ancien dealer jeta un regard en coin à l'inconnu, ayant envie de lui répliquer que non, il s'était directement téléporté ici. Après un court instant, il tira sur sa clope et en expira la fumée doucement. Un peu mal formulée sa question quand même.

— Ouais, j'y suis depuis pas longtemps si c'est ça qu'tu veux savoir, répondit-il simplement.

Il regarda ensuite son vis-à-vis, se rendant compte qu'il ne savait absolument rien de lui et, qu'en plus, il ne se souvenait pas l'avoir croisé un jour. Il n'était pas là depuis longtemps, et il y avait des résidents qu'il n'avait sûrement jamais croisé. Donc cela n'aurait pas étonné Logan que ce gars-là soit aussi du Centre. Mais comme on était jamais sûr de rien, il demanda directement.

— Et toi alors ?

La question de Logan permit à l'homme de décliner son identité. Il se nommait Mason Lamb — bien qu'il n'avait en aucun cas l'air d'un agneau, à part peut-être le léger sourire. C'était un entrepreneur partenaire du Centre, venu pour de la paperasse. James se souvenait de cette histoire de formations et de job, pour que les SDF soient réinsérés dans le monde du travail. Puis, tirant sur sa clope, il se rendit compte qu'il ne s'était même pas présenté. M'enfin, lui et les bonnes manières...

— Logan West, dit-il après avoir recraché sa fumée et serré la main de Mason.

L'ancien taulard n'était pas vraiment du genre ouvert, à parler avec tout le monde. Mais fait est que partager une clope, c'est toujours le début de quelque chose. Il reprit une bouffée de cigarette, et relâcha doucement la fumée, la regardant s'étirer paresseusement vers le ciel. Il la suit des yeux avant de reporter son attention sur l'autre homme. Il le détaille un instant, puis se décide, pour une fois, à continuer la conversation.

— Et tu bosses dans quoi ?

Autant se renseigner tout de suite. Peut-être que cela donnera des idées à James qui, pour le moment, n'a vraiment aucune piste pour un futur emploi. Disons qu'avoir arrêté les études juste à la fin du lycée, ça n'aide surement pas, mais vu le nombre de petits boulots qu'il a fait pendant 10 ans pour vivre, il a une certaine expérience.

Ce Mason n'était pas du genre renfermé, au contraire. Il avait l'air plutôt sympa aussi, même si ça passait plus par le regard qu'autre chose. Il ne posait non plus des questions à tout va, il partageait juste une pause. En cela, Logan l'appreciait. Lui qui n'aime pas plus que ça parler de lui était finalement bien tombé.

Tirant une nouvelle fois sur sa cigarette, James écouta les explications de l'homme. Lui n'était pas résident au Foyer, mais avait un atelier de menuiserie dans le quartier, et venait au Centre pour proposer de former quelques personnes. Lorsqu'il entendit le nom du métier de Mason, Logan eut un léger temps d'arrêt, avant de se dire que de toute façon, il faut de tout pour faire un monde. Mais quand même, un petit atelier de menuiserie, c'était pas courant à San-Francisco, surtout en centre-ville.

— D'la menuiserie ? Mh, c'pas courant ça. Tu dois pas avoir trop d'concurrence alors, dit simplement l'ancien détenu.

Il expira alors la fumée venant d'une nouvelle bouffée de tabac. Un travail, sûr, pour gagner sa vie, c'était quelque chose qu'il n'avait jamais connu. Pour sûr, ça le changerait, une fois qu'il serait sorti du Centre. Mais comme à son habitude, il ne pensait qu'au jour le jour et avait toutes les peines du monde à se projeter dans l'avenir. Sûrement un soucis que n'avait pas Mason, contrairement à Logan.

Mason gagnait sa vie en tant que menuisier, il avait son propre atelier. Il n'avait apparemment pas à se plaindre, les affaires marchaient bien. Et puis faire un tel travail manuel, s'il faisait des pièces uniques pour des particuliers ou même pour des boutiques, ça devait quand même rapporter. Les menuisiers ne courraient pas les rues il faut dire.

L'homme jeta son mégot après avoir fini sa cigarette et cala ses mains dans ses poches en raison du petit vent frais qui s'entêtait à faire baisser la température. Mason ne bougea pas pour autant. Et puis, il restait encore à Logan quelques taffes à tirer. Il n'aimait pas se presser pour fumer. Finalement, le menuisier le tira de ses pensées en lui demandant s'il était au Centre depuis longtemps. Relevant le regard vers lui, James l'entendit ajouter : "si c’est pas indiscret". Il sourit discrètement et tira une nouvelle fois sur sa clope avant de répondre.

— Ça fait que quelques jours, trois ou quatre un truc comme ça.

Il ne tenait pas un compte précis. Disons qu'il n'avait pas l'habitude de savoir exactement la date du jour, ni même l'heure d'ailleurs. Mais pour cette dernière chose il avait une montre, et encore c'est pas tout le temps qu'il s'en servait. De plus, son séjour en taule avait encore plus déréglé sa notion du temps, déjà fortement atteinte. Il mettrait du temps avant de pouvoir se réintégrer totalement. Enfin, tant qu'il est au Centre ça devrait aller pour lui.

Mason était un type sympa quand même, pour offrir une cigarette à un inconnu. Ce n'était pas Logan qui aurait fait ça. Enfin, pour le moment, ce dernier ce réjouissait intérieurement de savourer sa première clope depuis de trop nombreux jours. Le menuisier hocha la tête après la réponse de James, puis ajouta qu'il imaginait que ça ne devait pas être évident. Et ce fut au tour de l'ancien taulard d'hocha doucement la tête, tirant longuement sur sa clope. Il prit ensuite son temps pour en expirer la fumée, sachant que la prochaine taffe serait la dernière.

— J'te l'fais pas dire, se contenta-t-il de répondre.

Il termina ensuite sa cigarette, avec un petit pincement au coeur, avant de se rappeler que s'il était sorti aujourd'hui, c'était justement pour s'acheter un paquet. Se demandant furtivement comment il avait pu oublier ça, il jeta un coup d'oeil à Mason. Lui aussi avait un truc à faire non ? Bref, écrasant son mégot, Logan sourit doucement.

— Merci encore, pour la clope, j'te la rendrais un d'ces quatre, lança-t-il avant de remettre ses deux mains dans ses poches et de tourner les yeux vers la rue puis de les reporter sur Mason. Bon, j'ai deux trois trucs à faire. Alors bientôt.

Ils se firent ensuite une poignée de main en guise d'au revoir. Mason était le type avec lequel t'étais juste bien, tu te sentais pas jugé, et c'était franchement revigorant. En conclusion, c'était une bonne rencontre. James parti donc en direction du tabac le plus proche, il se demanda d'ailleurs s'il n'allait pas faire un détour pour s'acheter un nouveau crayon de papier.