« Attends, le père-noël tatoué, il était beau gosse, ça c’était une vraie trouvaille ! »
« Bah, tu dis ça parce que la dame à la sortie elle t’a dit que tu lui ressemblais. »

Sur le chemin du retour du cinéma où Mason a accompagné sa fille voir le dernier conte de noël sortit, la conversation va bon train. La joie et la bonne humeur se font ressentir en ce début de soirée et, bonne nouvelle, il n’y a pas école demain matin. Amelia attrape la main de son père d’un geste très enfantin pour ses onze ans révolus et continu de douter de sa capacité d’analyse de film jusqu’à ce qu’ils arrivent devant la librairie tenue par Joy juste un peu avant l’heure de la fermeture.

Joy et Mason sont de bons voisins de boutiques. L’atelier de menuiserie de ce dernier se trouve être la porte juste à côté de la librairie qu’elle tient. Ne se faisait pas une concurrence folle, les deux jeunes gens ont commencé à sympathiser puis sont devenus très proche au fil du temps. Secret au début sur son passé atypique avec Kendall, Amelia avait finit par être indiscrète et avait révélé à la libraire quelques tristes histoires concernant les colères de sa mère dont elle et son père devenaient les victimes. Mason avait fini par accepté que son secret soit ainsi mis à nu, après tout Joy était ce qui se rapprochait le plus d’une meilleure amie.
Finalement, le secret en cachait un autre puisqu’au même moment, Joy se laissa enfin aller à une confession sur les raisons profondes de son instance de divorce, elle avait elle aussi subit la violence de son mari.

La jolie brune sort de la boutique qu’elle ferme à clé et se retrouve nez à nez avec deux clowns aux larges sourires et aux regards pétillants.

« Salut Joy, Papa a dit qu’on allait manger au restaurant, tu veux venir avec nous ? » demande la fillette sûre d’elle tandis que Mason continu de sourire comme un idiot.

« C’est elle qui m’a forcé ! » lance-t-il taquin un doigt accusateur pointé en direction de l’enfant.

Joy ne parle que très peu de son mariage et des raisons de son divorce en cours. Il faut dire que, malgré le fait qu’elle n’ait rien à se reprocher, elle a honte de ce qu’il lui est arrivé. Comme si en quelque part c’était sa faute si elle a été victime de violences conjugales. C’est une idée qu’elle ne formule pas bien sûr, après tout ça serait ridicule de penser ça, mais c’est son subconscient qui lui susurre ce sentiment. Il n’y a que deux personnes qui sont au courant de cette pensée : son avocat, et Mason, son meilleur ami. Elle a rencontré ce dernier il y a quelques mois, en venant demander de l’aide pour déplacer une très lourde étagère dans la librairie qu’elle gère. Il se trouve qu’il a, lui aussi vécu une situation similaire avec son ex. Sauf que lui, il a une petite fille, Amelia. Joy adore cette petite dont il a la garde. Elle est mignonne, malicieuse, mais tellement adorable !

Ce soir-là, alors qu’elle ferme la boutique, elle ne s’attendait pas à se trouver face à deux clowns joyeux. Du coup, lorsqu’elle se retourne, elle sursaute et, amusée, se demande ce qu’ils font là. Elle ne mettra pas longtemps à l’apprendre : Amelia veut l’inviter à manger au restaurant avec eux. Bien sûr, Mason en rajoute une couche en disant que sa fille l’a forcé. Se mettant à rire (faut dire que le spectacle est quand même drôle !), elle répond :

C’est gentil ça, Amelia ! Mais tu as demandé à ton papa s’il voulait plutôt inviter quelqu’un d’autre ?

Grand sourire à la petite et clin d’œil au papa. Bien sûr, les deux adultes savent pertinemment qu’elle parle d’Elisabeth, l’une des amies de Joy, avec qui cette dernière essaie de caser Mason. Ca fait quelques temps qu’elle s’est donné pour objectif de les mettre ensemble. Il n’y a aucune raison, selon elle, pour que ça ne se fasse pas. En quelque part, la libraire a un peu peur de tomber un jour sous le charme de Mason. Jamais elle ne l’avouera, mais ça pourrait être le cas à un moment ou un autre, vu qu’ils sont si proches ! Mais Joy ne veut pas que ça puisse arriver. Elle ne veut plus aimer, et pour elle leur amitié doit rester une amitié. Du coup, quoi de mieux que trouver une compagne à l’intéressé pour éviter toute ambiguïté ? Et puis Elisabeth est vraiment quelqu’un de bien, et elle aimerait sincèrement que ça puisse coller entre eux. Dans un sourire, Joy rajoute malgré tout :

Enfin, tu sais que je ne refuserai jamais une sortie au restaurant alors… Je vous suis !

Mason n’est pas sans ignorer les dernières mésaventures de Joy, si l’on peut se permettre l’euphémisme. Il a été très affecté de découvrir que sa meilleure amie devait passer par les mêmes épreuves qu’il avait connu, voilà pourquoi il fait de son mieux aujourd’hui pour la supporter et la soutenir face à tout ça. Il sait que ce n’est pas facile, il est passé par les mêmes stades qu’elle et n’en a pas encore laissé certain derrière lui. La culpabilité, la honte, l’incompréhension, cette situation familiale, c’est autant de bonnes raisons pour découvrir de nouveaux sentiments qui font bien souffrir. Leur amitié s’était tissée très rapidement et leurs passés semblables avaient sans doute aidé à leur rapprochement. Finalement, la petite gaffe d’Amelia, très nature, leur a permis de découvrir qu’ils avaient plus de points communs qu’ils pensaient et après tout, ils s’étaient bien trouvés tous les deux.

Plantés devant la librairie de Joy, Mason et Amelia attendent la réponse de celle-ci avec impatience. Mason a beau joué l’enfant, il est bien sûr très impatient de partager une soirée avec son amie. Joy s’adresse d’abord à Amelia, lui faisant remarquer gentiment son impertinence, mais le sourire de la libraire ne trompe pas la petite fille qui lui sourit de plus belle. Mason quant à lui comprend très bien le message de Joy et fait de son mieux pour ne pas rougir.

« Mais non, on va juste à la pizzéria, entre copains. » lance la gamine sûre d’elle. Elle a beau avoir onze ans, Amelia comprends beaucoup de chose et très rapidement, alors elle sait que ce soir, c’est entre copains, et que son papa aura bien l’occasion d’inviter une femme ailleurs et en tête à tête. Elle l’espère en tout cas. Mason, lui, et plus réticent.

Cette amie que Joy lui a présenté est bien jolie et bien gentille, mais il ne se sent pas encore prêt à retomber dans le jeu de la séduction entre adultes, pour le moment, il n’y a que sa fille qui compte plus que tout. Il est peut être parfois trop protecteur, mais il a tellement eu peur de la perdre qu’il a du mal à la laisser encore prendre son autonomie parfois, dans ces cas là Amelie ne lui laisse plus vraiment le choix.

Lorsque Joy accepte, ce n’est pas tout à fait une surprise mais Mason élargit son sourire.

« Parfait, en route alors. » dit-il indiquant le chemin d’un petit restaurant italien dans une rue perpendiculaire. Un boui-boui sans chichi qu’ils ont déjà fréquenté plusieurs fois. Pendant les quelques minutes qui les séparent de la pizzéria, Amelia monopolise la conversation. Elle est bavarde cette petite et a besoin qu’on l’écoute. Joy et Mason le savent bien alors ils n’hésitent pas à la laisser s’exprimer. Elle parle du cinéma, de l’école, de ses copines et de son envie de devenir médecin.

Une fois installé à leur table habituelle dans le restaurant, un jeune serveur qui connait bien Mason offre à Amelia de venir en cuisine fabriquer elle-même sa pizza. Comment refuser ? Amy demande tout de même d’un coup d’œil l’autorisation à son père qui acquiesce d’un sourire. En un sens ça l’arrange, il n’aime pas trop parler du passé en présence d’Amelia et il voudrait tenter à nouveau de convaincre Joy de le rejoindre dans ce groupe de parole.
Une fois l’enfant disparue, Mason prend son verre d’eau pour en boire une gorgée et s’adresse à Joy.

« Elle a de énergie à revendre celle là, je te jure que je cherche encore où on peut la débrancher. » dit-il en plaisantant. Puis, il lance un long regard paternel vers Joy et lui pose une question qu’elle comprendra sans doute au-delà de sa véritable signification.

« ça va toi ? »