Après une nouvelle nuit passée dehors, enroulée dans une couverture miteuse et allongée sur un vieux carton de sapin de noël en plastique qui me protégeait de la fraicheur des températures nocturnes, ma journée commençait par le rituel d’une nouvelle remise en question. Assise, les coudes posés sur mes genoux et la tête enlacée dans mes doigts, j’essayais de faire le point en sachant pertinemment que toutes mes bonnes résolutions matinales s’envoleraient au fur et à mesure que les heures défileraient. Pourtant le hall d’entrée de cette banque ne pouvait pas devenir ma chambre pour les prochaines années ! Il fallait absolument que je pense à l’avenir de Declan, et pas uniquement à passer mon temps avec lui dans le foyer qui était devenu sa maison depuis sa naissance.

Motivée par le rayon de soleil qui passait au dessus des immeubles du quartier, je rassemblais mes quelques affaires avant de rejoindre les toilettes publiques pour faire un brin de toilette. Malgré ma situation je gardais un minimum d’estime de moi pour ne pas me laisser aller au point d’être négligente sur mon hygiène. Bien sur cette salle de bain improvisée ne ressemblait en rien à celle que je pouvais avoir chez mes parents, mais je ne réussissais pas à regretter ma décision. Un jour ou l’autre, même sans la naissance de Declan, mon père aurait fini par me mettre à la porte à cause de mon attitude irrespectueuse de ses règles. J’imaginais les différents scénarios qui auraient pu se produire en me nettoyant le visage à l’eau clair avant de chasser ces idées de ma tête. J’avais plus important à faire aujourd’hui.

Il était encore trop tôt pour retrouver mon fils, alors je me décidais à me présenter une fois pour toute au centre Adam Hawkes. Après un dernier regard dans le miroir brisé accroché au mur de faïences bleutées, je poussais un grand soupir pour me donner du courage. Ce ne serait pas une étape facile. Mais je devais en passer par là si je voulais réussir à me sortir de cette mauvaise passe.

Malheureusement, plus j’avançais vers l’accueil du bâtiment et plus je ralentissais l’allure… Je n’arrivais pas à me faire à l’idée de parler de mes problèmes à des inconnus qui finiraient toujours par me juger. Il penserait que ma conduite était irresponsable, égoïste et immature… et ils auraient raison. Pourtant je n’étais pas prête à l’entendre. Alors au moment de baisser la poignée de la porte, je fis brusquement demi- tour pour prendre la fuite… encore une fois.

Neal était venu plus tôt que d’habitude au Centre. Dès son arrivée, le jeune homme se perd dans son bureau où il s’enferme un moment. Il rédige aux propres les notes qu’il a prises lors de son dernier rendez-vous, la veille. Neal a toujours pris son travail très à cœur, au point de faire bien trop souvent des heures supplémentaires ou de s’investir à l’extérieur. Souvent, on lui reproche ça d’ailleurs, de trop s’investir, que ça puisse l’atteindre de trop. C’est plus fort que lui… ! Aider les autres a toujours été quelque chose que Neal aimait faire, il aimerait consacrer sa vie à ça, s’il le pouvait. Son voyage en Colombie a vraiment eu l’effet d’un électrochoc. Jamais il ne pourrait regretter une pareille expérience… Il a vraiment ouvert les yeux sur le monde. Quelque chose d’inexplicable, il faut certainement le vivre pour le comprendre.

Le retour a été d’ailleurs difficile dans le sens où retrouver toutes ces choses qui manquent sur place, et cette vie si « facile », vous rend morose. Il sait qu’il a beaucoup de chance contrairement à certain, et s’il pouvait être à deux endroit à la place, il serait retourné sur l’autre continent. En attendant, c’est au centre que Neal se trouve et compte bien prendre une petite pause, puisqu’il est ici depuis quelques heures déjà. Il prend l’ascenseur pour se retrouver au Starbucks, afin de se prendre un chocolat chaud. C’est sa petite habitude. Il préfère le chocolat chaud du starbucks plutôt que ceux dans les machines de la salle de pause.

Avec son chocolat chaud, le jeune homme prend une petite pause à l’extérieur, afin de prendre l’air. Devant la porte, il remarque une jeune femme devant l’entrée, qui fait finalement demi tour. Neal arque un sourcil, et une fois à l’extérieur, n’hésite pas à s’avancer vers cette dernière, son chocolat chaud à la main.

Excusez moi, je vous ai remarqué devant la porte, y a deux secondes… ?

Souffle Neal, dans un sourire bienveillant, interrogatif.

A quoi bon perdre mon temps en continuant de passer par ici? Si j’étais incapable d’accepter ma situation pour franchir le cap et demander un dossier ou un entretien avec le directeur, jamais le personnel du centre ne pourrait me venir en aide. Ils ne feraient que gaspiller leur énergie avec moi. Au final, ce serait une expérience amère pour tous. Rien de bon n’en ressortirait, si ce n’est une grande déception qui me ramènerait dans la rue. Mon point de départ. Non, je sentais au fond de moi que je n’étais vraiment pas prête pour ça…

Consciente de ce problème, je fis demi-tour la tête basse, encore plus honteuse que jamais. Penser à l’avenir de mon fils ne me donnait pas la force d’affronter mes peurs, mais combien de nuits faudrait-il que je passe dehors pour enfin réussir à me prendre en main ? Une, dix, ou bien plus ? Je l’ignorais totalement… Je me détestais.

Excusez moi, je vous ai remarqué devant la porte, y a deux secondes… ?

La voix d’un homme attira pourtant mon attention et me força à réagir, au moins par politesse. J’avais beau vivre dans la rue, je gardais mes bases d’éducation. Jamais mes parents n’auraient toléré que je tourne le dos à une personne qui m’interpelait. Aujourd’hui, ils n’étaient peut-être plus là pour me faire la morale et j’aurais pu partir en courant vers le centre ville, mais non, je n’aurais plus été vraiment moi-même si j’agissais de la sorte.

M’arrêtant en serrant mes mains l’une contre l’autre, je fis face à cet inconnu sans pour autant réussir à croiser son regard.

- Oui… Je venais pour… Non, pour rien. Laissez tomber.

Alors que j’avais l’occasion d’avoir des informations sur le projet que proposait le centre, je ne pensais qu’a une seule chose : m’enfuir le plus loin possible.

Neal décide de prendre sa pause, changé d’air un peu, histoire de se ressourcer avant d’enchainer sa journée de travail. En général, elles sont longues et fatigantes. Surtout pour la tête, l’esprit pour tout dire. Le jeune homme fait un petit détour par le Starbucks. A Londres, le jeune homme adorerait s’y rendre et il est bien heureux de trouver ça ici, à San Francisco. C’est presque un petit repère pour lui, une source sûre. C’est débile mais c’est ainsi. Son chocolat chaud à la main, Neal ouvre la porte de l’accueil pour en sortir. Son attention se porte aussitôt sur une jeune femme qui fait soudainement marche arrière. Intrigué, peut-être un peu intrigué, il prend la parole pour en savoir d’avantage. L’inconnue ne se retourne pas de suite. Neal se demande si elle fera comme si elle n’avait rien entendu. Lui, il reste là, prenant une gorgée de son breuvage avant d’apercevoir enfin le visage de la demoiselle, qui ne semble pas très âgée.

Vous venez pour… ?

Insiste un peu Neal, en la dévisageant. Elle n’a pas l’air d’être une jeune femme pleine de vie pour tout dire, avec une vraie situation. Peut être qu’il se laisse emporter par son travail mais Neal sait reconnaitre une personne en difficultés disons. A force, probablement. Il lui adresse un léger sourire qui se veut assez rassurant. Il tend sa main pour se présenter.

Désolé, si je suis indiscret… Je m’appelle Neal Callow, je travaille a Centre… !
Explique Neal, en l’observant.